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les collections aristophil

Mais si « on en vient à l’évidence des chiffres et qu’amoureux du

bien on consulte les sages expérimentés, le Ciel s’assombrit et on

n’enregistre plus que des mécomptes ».

La main d’œuvre est insuffisante, et les « terres propices sont entre les

mains de quelques uns, notamment presque la moitié chez l’Évêque »,

ne laissant aux colons que « quelques ares de terre » qui ne leur

permettent guère de survivre face à la « grosse maison », la Société

commerciale, « outillée depuis longtemps pour l’accaparement du

commerce en général ». L’élevage est peu viable économiquement,

et la récolte du coprah est surchargée de taxes excessives, dont

Gauguin dresse la liste en dénonçant cet impôt qui « coûte plus qu’il

ne rapporte, sa perception nécessitant une nombreuse gendarmerie

avec grande paperasserie, là où un seul gendarme serait suffisant pour

les actes d’état civil. Quant à ce qui est de la criminalité insignifiante

en ces îles ou l’indigène est le plus doux et le plus timide qui existe,

point n’est besoin de force armée »; un juge viendrait-il, « ce ne serait

que pour juger quelques délits ridicules tels que le bain sans feuille

de vigne dans les endroits reculés de la rivière ».

Cet énorme impôt ne sert qu’à « payer trois administrateurs qui se

promènent sur les paquebots puis en France » ; et un courrier qui

fonctionne très mal : « cinq fois en 12 mois ». Les colons sont dans

« l’oubli complet;

traités en quelque sorte comme des portefaix de la

Côte d’Afrique. Souvent en disette, sans pain, sans riz ni biscuit, sans

sel ni pommes de terre, sans aucun des bénéfices de la civilisation,

si ce n’est la tracasserie des arrêtés et arrêtons. […] Les commerçants

sans courriers pour transporter leurs exportations, sans courriers

pour leur apporter leurs marchandises, restent avec des magasins

vides sans pouvoir faire des affaires et se ruinent. Et cependant les

patentes, les contributions courent toujours et il faut payer sinon la

saisie !! autrement dit la Bourse ou la vie ».

Citant en exemple le naufrage du vapeur

La Croix du Sud

dans lequel

un commerçant a perdu 8 000 francs de coprah (sur lesquels les

droits avaient été payés d’avance), et les tarifs inabordables des

compagnies d’assurances, soulignant qu’une colonie pénitentiaire ne

serait pas ainsi délaissée, il s’interroge : « à défaut de navire de guerre

n’y avait-il pas de goëlettes pour envoyer nos vivres, notamment la

farine »… Quant à l’argument du manque d’argent, Gauguin s’emporte :

« Comment ? avec les formidables contributions que nous payons en

échange de rien, vous n’avez pas d’argent. – (Et pour nous le prouver

vous nous envoyez un quatrième résident à Taiohae) – ce qui semble

à cette occasion être un illogicisme arrogant semblant nous défier

en tout et pour tout ». Et il conclut, au nom des colons indignés :

« il nous importe à nous les colons,

la seule vitalité d’une Colonie

.

Il nous importe aussi – indignés d’un pareil traitement, – d’élever la

voix. Et je viens, Monsieur Edouard Petit, protester énergiquement

ici et en France là où on sait écouter. Peut-être qu’un plus puissant

que vous vous dira comme à Mac-Mahon, “Il faut vous soumettra

ou vous démettre” »…