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beaux-arts

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GAUGUIN PAUL (1848-1903).

2 L.A.S. « Paul Gauguin », Ivaoa Marquises novembre

1902, [à Charles RÉGISMANSET] et à Édouard PETIT,

« Gouverneur des Établissements Français de l’Océanie-

Tahiti » ; 1 page in-4 sur papier ligné (24,5 x 19,7 cm),

et 8 pages petit in-4 (22,8 x 17,8 cm), paginées de 1 à 8

sur papier quadrillé (petite déchirure dans le pli réparée).

15 000 / 20 000 €

Extraordinaire et violente dénonciation des agissements de l’ad-

ministration coloniale dans les îles de l’Océanie

.

[C’est à Charles RÉGISMANSET (1873-1945), collaborateur du

Mercure

de France

(sous le pseudonyme de Carl Siger pour les questions

coloniales, sous lequel il a publié en 1907 un

Essai sur la colonisa-

tion

), que Gauguin a adressé ces deux lettres ; « Carl Siger » les a

publiées sous le titre « Paul Gauguin colon » dans le numéro d’août

1904 du

Mercure de France

(p. 569-573) après la mort du peintre et

du gouverneur Édouard Petit, décédé en mer en mars 1904.

Édouard PETIT (1856-1904) avait été nommé en 1900 Gouverneur

général des établissements français de l’Océanie.]

Gauguin, qui se présente comme « un lecteur du

Mercure de France

»,

envoie à celui qui s’y occupe des « questions coloniales » « le double

d’une lettre adressée au Gouverneur de Tahiti […] je m’adresse à

vous

tout particulièrement pour lui donner ou faire donner de la publi-

cité susceptible d’éveiller l’attention. Si loin, si petits, nous sommes

abandonnés et livrés à toutes les cruelles fantaisies d’une stupide

administration, et si j’en crois vos écrits dans le Mercure cela doit

vous intéresser naturellement »…

Gauguin commence par railler l’attitude arrogante du Gouverneur

lors de sa récente visite aux Marquises :

« Comme un touriste pressé de faire le tour du monde en 80 jours,

vous avez visité les Marquises. – Solennellement d’ailleurs, puisqu’un

navire de guerre français resplendissant de nos couleurs nationales,

vous servait de yacht, avec tout l’apparât d’usage. Il y avait tout lieu

d’espérer, de croire même que vous veniez pour être renseigné sur

l’État de nos Affaires, et par suite gouverner sainement la colonie ;

apporter dans la mesure du possible des améliorations tant désirées :

– Cette Colonie complètement remise entre vos mains, sans repré-

sentant au Conseil général. De ce fait dans l’impossibilité (si ce n’est à

un colon isolé et bien intentionné) de faire connaître ses espérances

et faire valoir ses droits. Les espérances comme les croyances se

sont envolées avec la fumée du navire de guerre. Vous avez été saluer

Monseigneur à l’évêché, et ensuite à la case gouvernementale vous

faire saluer par le gendarme. Fatigué sans doute de cette extraordinaire

corvée, vous vous êtes reposé en faisant de la photographie. Belles

jeunes filles aux seins fermes et au ventre lisse prenant leurs ébats

dans le cours d’eau : voilà de quoi enrichir votre superbe collection

et intéresser l’École du plein air – nulle trace cependant du désir de

faire de la Colonisation.

Ce qui eût été intéressant et utile, c’est :

Si

vous départissant de

cette morgue que vous avez affichée dès le début de votre arrivée

à Tahiti (afin sans doute de rendre impossible toute conversation

entre vous et le colon), vous eussiez consulté les seules personnes

capables de vous renseigner ;

ceux

qui ayant habité les Marquises

s’efforcent, mais en vain, avec leur intelligence, leurs capitaux, et leur

activité de coloniser.

Vous auriez appris alors que nous ne sommes pas des palefreniers

de vos écuries (comme votre conduite à notre égard semble le faire

croire : vous auriez appris aussi beaucoup de choses que vous feignez

ou voulez ne pas savoir. Elles sont intéressantes pour tout le monde,

ici et en France, puisqu’il s’agit de la prospérité ou de la ruine d’une

Colonie appartenant à la France, qui croyant en vos capacités et votre

bon vouloir, vous en a donné la direction. Il s’agit aussi d’humanité. […]

À en juger d’après les superbes photographies que vous avez faites

aux Marquises, il est évident que c’est une terre délicieuse où tout

respire la beauté et la joie de vivre, la luxuriance de la végétation.

Les bons germes tombent sur la bonne terre et la douce brise fait le

reste ; ce miracle est accompli et la récolte n’a plus qu’à monter sur

de bons et solides navires faisant le service régulier – non sans en

avoir soldé l’impôt d’exportation ».