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beaux-arts

Très intéressantes lettres à Monet de son marchand de tableaux,

sur le krach de l’Union Générale, le travail de Monet à Pourville,

et la préparation de la 7

e

Exposition des Artistes indépendants

(qui se tiendra dans les salons du Panorama de Reichshoffen, 251

rue Saint-Honoré, 1

er

mars-3 avril).

31 janvier

. « Je suis comme vous dans les plus grands ennuis

aujourd’hui grâce à la crise épouvantable qui éclate à la bourse. Il

m’est dû beaucoup et je ne reçois pas un sou ». Il attend « à tout

moment une rentrée de fonds […] je vous enverrai de suite ce que

j’aurai. Pour une échéance comme la vôtre vous aurez à la rigueur un

ou 2 jours pour payer chez l’huissier. C’est bien ennuyeux mais cela

vaut mieux que de ne pas payer du tout. […] Ce n’est qu’un moment

à passer mais il est rude. Avez-vous fini vos 2 grands tableaux ?

avez-vous fait autre chose ? Envoyez moi tout ce que vous pourrez

avant de partir »…

9 février

. Il espère pouvoir lui envoyer de l’argent « demain ou

après-demain. Nous avons toutes les peines du monde à faire rece-

voir quoi que ce soit en ce moment. Bien des gens sont touchés par

la crise et même ceux qui ne perdent pas en profitent pour ne pas

payer ». Ses deux tableaux sont très beaux : « Tâchez d’en faire beau-

coup d’autres au bord de la mer. Vous êtes dans un pays superbe et

vous ne manquerez pas de beaux motifs ». Il appuie la demande de

CAILLEBOTTE

« au sujet de l’exposition projetée rue St Honoré » et

engage Monet « à exposer le plus de tableaux que vous pourrez. Le

moment est très favorable. Il y a avalanche d’expositions en même

temps que disette de bons tableaux. Tous les artistes à grande répu-

tation se coulent par des œuvres de plus en plus médiocres. C’est

le moment de montrer qu’il y a encore de vrais peintres. En vous

réunissant à

RENOIR

, à

PISSARRO

, à

SISLEY

, à

CAILLEBOTTE

, vous

pouvez faire une exposition très remarquable et je crois fort que le

succès viendra couronner cette dernière tentative »…

22 février

. Il va lui faire envoyer de l’argent. « Je suis content d’ap-

prendre que vous avez trouvé de jolis motifs et que vous comptez

m’apporter bientôt beaucoup de chefs d’œuvre. Mais il ne suffit pas

d’en faire, il faut les montrer ». Il déplore le refus de Monet d’exposer

rue Saint-Honoré : «

DEGAS

avait tout brouillé en insistant pour

que Raffaëlli, Tissot et autres puissent exposer. […] Tous se retirent.

Il ne reste plus d’exposants que

PISSARRO

,

SISLEY

,

GUILLAUMIN

,

VIGNON

, et

GAUGUIN

», mais il faut absolument que Monet y soit

avec

RENOIR

et s’associe « à nos efforts pour que cette exposition

soit réellement belle et utile à notre cause. Le moment est tout ce

qu’il y a de plus favorable. Il y a plusieurs expositions ouvertes et

tous les grands peintres à la mode y étalent leur impuissance. Il

est indispensable de montrer qu’à côté de ces grandes réputations

surfaites il y a de vrais artistes que le public connaît moins mais qui

dominent les autres de toute la hauteur de leur talent. Je suis sûr du

succès de cette tentative ». Monet n’a qu’à désigner les œuvres que

Durand-Ruel doit montrer ; il a des cadres neufs. « Je trouve qu’une

exposition qui renfermera vos œuvres avec celles de Renoir, de

Pissarro et de Sisley avec quelques toiles des 3 autres, dont le talent

est réel quoique moins saillant, aura tous les éléments possibles de

succès.

CAILLEBOTTE

n’est pas utile; c’est lui qui a fait hurler le plus

par ses excentricités. Il n’y a que

DEGAS

que je regrette mais c’est

un fou et il n’y a pas moyen de raisonner avec lui »…

24 février

.

CAILLEBOTTE

attendait l’acceptation de Monet pour se

joindre au groupe. « Donc puisque Caillebotte expose vous ferez

bien le sacrifice d’accepter les 3 peintres en question qui, après tout,

ont des œuvres fort bonnes et pas trop nombreuses ». Il envoie cent

francs pour le billet de train.

20 mars

. L’exposition a « un grand succès d’estime auprès d’une série

assez importante d’amateurs. On discute, on regarde sérieusement

et on prend des notes. C’est un pas énorme de fait sur les années

précédentes. La vente ne marche pas, mais je m’y attendais. Vous

savez que j’ai demandé des prix élevés. J’aurais demandé moitié

moins que je n’aurais pas vendu davantage et je n’aurais pas posé

les tableaux dans l’esprit des amateurs de la même façon. On trouve

que je suis exagéré mais je suis enchanté que l’on en soit arrivé à faire

ce progrès de ne plus rire de mes goûts et de déclarer que j’étais

fou ». Il est toujours prêt à faire des concessions « pour amorcer un

nouveau client », mais « il faut arborer fièrement son drapeau et parler

de gros prix ». Il ajoute : « tâchez de faire beaucoup de chefs-d’œuvre.

Vous êtes dans un pays superbe, vous avez un temps magnifique »…

1

er

avril

. Monet est-il encore à Pourville, ou de retour à Poissy ? Louis

GONSE

, directeur de la Gazette des Beaux-Arts, « voudrait un tableau

de vous ce qui est bien mais il le voudrait bon marché. Je lui avais

dit que je lui ferai toutes les concessions possibles mais je crois qu’il

aimerait encore mieux avoir une toile pour rien. […] Ne vous laissez pas

jouer par lui et dites lui simplement que vous m’avez tout destiné. […]

L’exposition va fermer lundi. Vous n’avez à vous préoccuper de rien ».

On joint

un relevé du compte de Monet

sur papier à en-tête de

Durand-Ruel

(16, rue Laffitte) au 26 avril 1882, avec les sommes versées

du 7 février au 22 avril (5961,55, dont 561,55 de « part de frais » pour

l’Exposition de la rue Saint-Honoré), et son avoir pour un achat de

16 tableaux le 22 avril pour 6000 F et 7 tableaux à 400 F le 25 avril

(calculs autographes de Monet au crayon au dos). Plus 2 L.S. par

les comptables de Durand-Ruel Ch.

CASBURN

et

MARRIOTT

pour

envois d’argent à

MONET

en 1882 : 31 janvier à Poissy (1000 F), et 5

avril à Pourville (500 F).

provenance

Archives Claude Monet

(13 décembre 2006, n° 59).

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