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les collections aristophil
Van Gogh remercie Aurier de son article, qui l’a « beaucoup surpris. Je
l’aime beaucoup comme œuvre d’art en soi, je trouve que vous faites
de la couleur avec vos paroles ; enfin dans votre article je retrouve
mes toiles mais meilleures qu’elles ne le sont en réalité, plus riches,
plus significatives ». Mais il se sent « mal à l’aise […] plutôt qu’à moi ce
que vous dites reviendrait à d’autres. – Par exemple à MONTICELLI
surtout » ; et il invite Aurier à aller voir chez son frère Théo « certain
bouquet de Monticelli – bouquet en blanc, bleu myosotys & orangé
[…] à ce que je sache, il n’y a pas de coloriste venant aussi droit et
directement de Delacroix; et pourtant est-il probable, à mon avis,
que Monticelli ne tenait que de seconde main les théories de la
couleur de Delacroix; notamment il les tenait de Diaz et de Ziem ».
Il rapproche le tempérament de Monticelli de celui de Boccace :
« Un mélancolique, un malheureux assez résigné, voyant passer la
noce du beau monde, les amoureux de son temps, les peignant, les
analysant, lui – le mis de côté. […] c’était donc pour dire que sur mon
nom paraissent s’égarer des chôses que vous feriez mieux de dire de
Monticelli, auquel je dois beaucoup. Ensuite je dois beaucoup à Paul
GAUGUIN avec lequel j’ai travaillé durant quelques mois à Arles et que
d’ailleurs je connaissais déjà à Paris. Gauguin, cet artiste curieux, cet
étranger duquel l’allure et le regard rappellent vaguement le portrait
d’homme de Rembrandt à la galerie Lacaze, cet ami qui aime à faire
sentir qu’un bon tableau doit être l’équivalent d’une bonne action,
non pas qu’il le dise, mais enfin il est difficile de le fréquenter sans
songer à une certaine responsabilité morale. – Quelques jours avant
de nous séparer, alors que la maladie m’a forcée d’entrer dans une
maison de Santé, j’ai essayé de peindre “sa place vide”. C’est une
étude de son fauteuil en bois brun rouge sombre, le siège en paille
verdâtre et à la place de l’absent un flambeau allumé et des romans
modernes. [
La chaise de Gauguin
, Van Gogh Museum] Veuillez à
l’occasion, en souvenir de lui, un peu revoir cette étude laquelle est
toute entière dans des tons rompus verts et rouges ». Pour la question
de la couleur, c’est à Gauguin et Monticelli qu’Aurier aurait dû rendre
justice : « la part qui m’en revient ou reviendra demeurera, je vous
l’assure, fort secondaire ».
Van Gogh parle alors de ses deux toiles des
Tournesols
[National
Gallery à Londres, Neue Pinakothek à Munich] exposées au Salon des
XX, dont il admet qu’elles ont « certaines qualités de couleur et puis
aussi que ça exprime une idée symbolisant “la gratitude” », mais il veut
saluer les peintures de fleurs d’Ernest Quost et Georges Jeannin; et
il lui semble « difficile de faire la séparation entre impressionisme et
[autr]e chôse, je ne vois pas l’utilité d’autant d’esprit sectaire que nou[s]
[avo]ns vu ces dernières années, mais j’en redoute le ridicule ». Et il
proteste contre le terme « d’infamies » à propos de MEISSONNIER :
« C’est peutêtre de cet excellent MAUVE que j’ai hérité pour Meis-
sonnier une admiration sans bornes aucunes; Mauve était intarissable
sur l’éloge de Troyon et de Meissonnier – combinaison étrange »...
Pour remercier Aurier, il va envoyer à son frère « une étude de cyprès
[
Cyprès
, Kröller-Müller Museum à Otterlo] pour vous si vous voulez
bien me faire le plaisir de l’accepter en souvenir de votre article.
J’y travaille encore dans ce moment, désirant y mettre une figurine.
Le cyprès est si caractéristique au paysage de Provence et vous le
sentiez en disant : “même la couleur noire”. Jusqu’à présent je n’ai
pas pu les faire comme je le sens; les émotions qui me prennent
devant la nature vont chez moi jusqu’à l’évanouissement et alors il
en résulte une quinzaine de jours pendant lesquels je suis incapable
de travailler. Pourtant, avant de partir d’ici, je compte encore une
fois revenir à la charge pour attaquer les cyprès. L’étude que je
vous ai destinée en représente un groupe au coin d’un champ de
blé par une journée de mistral d’été. C’est donc la note d’un certain
noir enveloppée dans du bleu mouvant par le grand air qui circule,
et opposition fait à la note noire le vermillon des coquelicots. Vous
verrez que cela constitue à peu près l’assemblage de tons de ces
jolis tissages écossais carrelés : vert, bleu, rouge, jaune, noir, qui à
vous comme à moi dans le temps ont paru si charmants et qu’hélas
aujourd’hui on ne voit plus guère ».
Il espère venir à Paris au printemps pour « vous remercier en per-
sonne »...
Il ajoute, à propos des
Cyprès
: « Lorsque l’étude que je vous enverrai
sera sèche à fond, aussi dans les empâtements, ce ne sera pas le
cas avant un an – je croirais que vous feriez bien d’y donner un fort
vernis. Et entretemps il faudra plusieurs fois la laver à grande eau
pour faire évacuer complètement l’huile. Cette étude est peinte en
plein bleu de Prusse, cette couleur de laquelle on dit tant de mal et de
laquelle néanmoins Delacroix s’est tant servi. Je crois qu’une fois les
tons du bleu de Prusse bien secs, en vernissant vous obtiendrez les
tons noirs très noirs nécessaires pour faire valoir les différents verts
sombres. Je ne sais trop comment il faudrait encadrer cette étude
mais y tenant que cela fasse penser à ces chères étoffes écossaises,
j’ai remarqué qu’un cadre plat très simple,
mine orange vif
, fait l’effet
voulu avec les bleus du fond et les verts noirs des arbres. – Sans
cela il n’y aurait peutêtre pas assez de rouge dans la toile et la partie
supérieure paraitrait un peu froide ».
Vincent van Gogh,
The Letters
, n° 853 :
http://vangoghletters.org/vg/letters/let853/letter.html