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les collections aristophil

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ROUSSEAU HENRI, DIT LE DOUANIER (1844-1910).

L.A.S. « H. Rousseau », Paris 21 juin 1899, à Joséphine

NOURRY ; 7 pages in-8 sur 4 feuillets montés sur onglets,

avec une PHOTOGRAPHIE dédicacée (carte postale),

en un volume in-8 relié vélin blanc à la Bradel (

H. Alix

).

10 000 / 15 000 €

Rarissime, longue et magnifique lettre d’amour

à s

a

«

bien-aimée

»

qui deviendra bientôt sa femme, ornée en tête du dessin à la plume

d’une petite fleur

.

[Veuf, le Douanier Rousseau entretient depuis longtemps une liaison

avec Joséphine Nourry. Sa maîtresse est enfin libre depuis la mort

en 1895 de son mari, Olivier Le Tensorer, cocher de fiacre. Mais le

Douanier, probablement franc-maçon, se montre réticent à l’idée

d’un mariage religieux. Il exprime tout son amour ardent dans cette

lettre exaltée. Le mariage eut lieu trois mois plus tard, le 2 sep-

tembre, en l’église Notre-Dame des Champs ; Joséphine, dont le

portrait est conservé au Musée Picasso, mourra en 1903, âgée de

cinquante-et-un ans.]

« Ma bien aimée

Il est 7 heures du matin, et, je fais ce que je voulais faire en rentrant

hier au soir ; mais j’étais fatigué, je préférais quoique n’ayant nulle-

ment envie de dormir me coucher tout de même pour reposer le

Corps et non l’Esprit. J’ai à peine dormi me réveillant en sursaut, en

t’appelant te cherchant, je suis tout courbaturé et mon mal de tête

depuis hier soir ne me quitte pas. Nous nous sommes faits bien du

mal mutuellement, oui, certes et pourquoi, pour un motif futtil par

le fait. Ah ! que cette question de conviction fait donc du mal, nous

nous aimons tous les deux, certes, et nous nous faisons un mal

énorme ; nous empoisonnons notre existence, ces douces heures

que nous passons dans une seule et même pensée d’affection le

plus grand des biens. Tu es charmante ma petite Joséphine, ma

bien aimée, sur tous les points, tu es intelligente eh bien je voudrais

te développer cette intelligence si utile chez la femme comme chez

l’homme. D’un côté encore plus chez la femme puisqu’elle doit être

sa compagne qui le charmera par sa grâce sa beauté sa science, et,

qui, dans bien des occasions doit même l’aider. Dieu a donné à la

femme comme à l’homme les mêmes dons, seulement faut qu’ils

soient développés. Puisqu’il est partout, qu’il voit tout, il sait que

nous nous aimons, que nous sommes unis par la même affection et

que nous sommes sympathiques l’un à l’autre. Il n’a pas demandé

que des hommes s’intitulent ses représentants sur la terre, puisqu’il

voit tout, qu’il connaît jusque dans nos plus secrètes pensées, et

que chez soi sans ostentation l’on peut s’élever vers lui se confesser

même à lui à lui seul ! À ceux qui l’aiment il les empêchera de faire le

mal, puisqu’ils le craindront, ainsi que tous les autres esprits qui sont

autour de lui, qui est l’Esprit supérieur à tout, l’esprit par excellence. Il

ne demande pas ce Dieu que l’on aille s’agenouiller devant un autre

homme qui est la même chose que nous; mais qui n’aspire à aucune

autre pensée que celle de tenir les esprits faibles et fanatiques sous

un joug quelconque. Tu es femme, tu es intelligente, […] je voudrais

faire de toi une femme parfaite, raisonnant et cherchant à que tu te

rendes compte des choses basées sur la vérité. Ceci est parce que

je t’aime, ma Joséphine, mon ange adorée »…

Il souffre et est « anéanti » de leur différend ; il doit aller à un enterre-

ment, et ira en même temps « sur les tombes de ceux qui nous ont

été bien chers, mon fils, ton mari que j’évoquerai »…

Il voudrait lui parler, être près d’elle, « poser un doux baiser sur tes

lèvres roses, ainsi que sur tes yeux, tes beaux cheveux noirs comme

l’hébène […] Je voudrais ne plus nous quitter; surtout ne nous faisons

plus de peine au sujet de ce dont il a été question hier; puisque c’est

arrangé. […]

Je t’aime, ma Joséphine ; je t’aime ! Je t’embrasse des millions de

foi, sur tes lèvres roses; que tout ton visage soit couvert en un mot

de mes baisers brûlants ; afin d’effacer les traces laissées par les

pleurs que j’y ai fait malheureusement couler, et, dont je te prie de

me pardonner ; ce que je pense tu feras au nom de l’amour et de

l’affection que tu as pour moi. […]

Celui qui t’aime sincèrement ma petite Joséphine, ma bien aimée.

H. Rousseau »

On a relié en tête une photographie avec dédicace autographe

signée du Douanier Rousseau

, carte postale photographique repré-

sentant le Douanier Rousseau dans son atelier, le violon à la main,

dédiée à sa fille Julia :

«

Le peintre H. Rousseau

Dans son atelier

dédié à ma fille.

Paris le 28 mai 1906

»

.

Adresse au verso : « Madame Julia Rousseau. Angers

»

.

provenance

Anciennes collections Tristan TZARA (Loudmer, 4 mars 1989, n° 362);

puis Éric et Marie-Hélène BUFFETAUD (Sotheby’s Paris, 15 décembre

2010, n° 115).