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Littérature
submergé par une « incroyable accumulation de besognes », qui trouve tout juste le temps de rendre ses articles dans les délais.… Envahie
de doutes, il doit fréquemment la rassurer. Ainsi, en mars 1929, lui répond-il : « Je vous en prie, n’ayez pas d’inquiétudes, cela ne vaut
pas mieux que le doute. Ni l’un ni l’autre ne me rendront furieux, mais je l’avoue j’en suis attristé profondément, et ralenti, et payez-
moi de mots, aggravé, alourdi, de ce poids d’une dure vie ! Donc, ni fureur ni rien qui y ressemble » … La plupart des lettres fixent ou
décalent leurs rendez-vous amoureux. Maurras lui-même déplore que ses missives ne soient que « des chiffres, des heures, des questions
précises […]. Pardon (je devrais vous demander un pardon général, une espèce d’indulgence plénière papale) pardon pour le passé cela va
sans dire, mais voyez quant au présent et à l’avenir ce tremblement qui n’est que trop naturel ! »… Les deux amants s’inquiètent beaucoup
respectivement pour la santé l’un de l’autre. En août 1929 : « La semaine dernière votre silence m’avait tout à fait démoralisé, et ce n’est
pas absolument de ma faute si je vous avais fait ainsi une si triste figure ! Pardonnez-le moi avec quantité d’autres choses dont je ne
suis pas très fier, et je vous en prie, continuez à me donner des nouvelles régulières »… Puis, en septembre 1929 : « Les humidités de la
Vézère ne sont pas aussi favorables à votre physique qu’à votre moral, et cela m’a inquiété beaucoup. Beaucoup plus que ne mériterait
de vous inquiéter la petite différence entre un
pas
et un
plus
dénichée dans ma lettre »… En octobre 1929, il lui rappelle : « Ne croyez
pas que j’aie une baguette miraculeuse qui rende extensible le temps matériel ! »… Il est d’ailleurs si occupé qu’il travaille le soir de
Noël : « Hier soir tout le monde réveillonnait autour de moi, étant presque seul à l’imprimerie »… « Il n’y a aucun moyen d’être libre ce
soir. J’ai conseil tout l’après-midi, la page littéraire à revoir, une liste d’audiences et de visites à n’en plus finir, et je ne sais même pas
s’il me sera possible de répondre à une invitation à dîner ! C’est un jour de bourrage fou »… Les deux amants échangent également des
documents, des notes et quelques propos politiques : « Ce n’est pas pour vous
influencer
, mais il faut lire le journal ce matin, à cause du
monstrueux
présent des dieux ! Vous avez raison,
ils
ne peuvent pas discuter sur ce terrain-là, ils sont obligés de l’éviter ou de s’y faire
toucher à chaque reprise ! Ça, c’est ce que seuls, nous pouvons dire parce que seuls, nous pouvons le faire. J’ai tort de dire
nous
pour
aller plus vite ; car, si j’avais le malheur d’être républicain, je serais aussi ridiculement impuissant que les camarades. C’est le principe,
la position qui fait tout, dans cette affaire. Ça ne dispense pas d’activité ni d’énergie mais ça les fertilise »… « Soyez sûre que je ne vous
crois en aucune façon, illusionnée ! Ce qui m’effraie le plus c’est combien le plan où se tiennent les acteurs qui nous mènent est éloigné
du plan du réel. Ils raisonnent par rapport à eux-mêmes, à des situations qui elles-mêmes sont un mensonge, une trahison de la vérité et
de l’intérêt public. Mais je comprends aussi qu’il faut accepter cette triste domination si l’on veut agir sur elle, comme vous agissez ! »…
226.
Charles MAURRAS
. L.A.S., 12 novembre 1951, [à Henri
M
assis
] ; 12 pages in-4 (transcription jointe).
300/400
T
rès
belle
et
longue
lettre
. À la lecture des épreuves du livre de Massis,
Charles Maurras et notre temps
, Maurras ne peut cacher
sa joie et sa reconnaissance : « J’écris tant, je fais tant de livres et en corrige tant d’autres, qu’il n’y a même plus moyen de vous dire
mon immense gratitude pour le service que vous venez de me rendre si brillamment, si utilement, et bien plus qu’à moi, aux idées qui
nous ont mus l’un et l’autre depuis tant d’années ! Vous avez le don de la vie. Vous réveillez les gisants, et leurs os, et les cendres. Où
semblaient ne devoir se promener que de mornes doctrinaires, voilà des troupes d’hommes rajeunis, ardents, actifs et passionnés ! »...
Il relève quelques erreurs, par exemple : « ce n’est pas à
Arles
que notre Marius a défait les Teutons, c’est à Aix.
Delubrum victoriæ
aquensis
. Je me suis donné le plaisir d’en faire graver le souvenir dans le marbre de mon jardin pendant qu’il était occupé par les
Boches ». D’autres remarques retiennent son attention, comme la question de la moralité des romans de Léon Daudet. « Un grand trait,
le plus curieux au moins de votre réussite, c’est comment tant de traits personnels, divers, distincts, parfois très différents, concourent,
d’eux-mêmes, et (parbleu !) par votre art à produire un même puissant effet. [...] Je vous parle du livre comme s’il avait dix ans d’âge
et s’il remplissait depuis longtemps son rôle de monument testimonial. [...] Que nous aurions de choses à nous dire, mon cher ami !
D’ouvertures mutuelles à nous donner ! Cette jeune génération que j’ai à peine entrevue et que vous avez suivie, que vous pressez
encore de la pointe du fer sacré, vous m’en feriez une seconde révélation, à laquelle ma vieille tête aimerait rêver longtemps [...] Enfin,
ce sera peut-être pour bientôt ; soit que les portes s’ouvrent, soit que vous les perciez de votre fer de lance »... Et Maurras ajoute, après
sa signature : « Vieillard de Troie ».
Ancienne collection Jean
E
llenstein
(29-30 mai 1980, n° 106).
227.
Christian MÉGRET
(1904-1987).
M
anuscrit
autographe,
La Mauvaise Aventure
, 1941 ; 127 ff. in-4 montés sur
onglets, reliés en un vol. demi-box noir à coins avec filets dorés (dos et charnières frottés avec épidermures).
300/400
M
anuscrit de
ce
roman
publié en 1941 par Plon sous le titre
Jacques
. Le manuscrit, d’une petite écriture serrée remplissant toute les
pages, écrites au recto, présente des additions en regard du texte ou dans les marges étroites, avec de nombreuses ratures et corrections ;
il est daté à la fin « 4 mai 1941 » (erreur de pagination entre les pages 9 et 11). Ce récit à la première personne s’ouvre après la défaite de
1940 : « Je me trouvais, au mois de juillet 1940, dans une auberge de village, sur les bords de la Dordogne. Le dix juin, fourrant dans
ma petite voiture trois valises et quelques paquets, j’étais parti de Paris. Un peu avant j’avais décidé d’abandonner les grandes routes,
terriblement encombrées et m’étais dirigé, au hasard, vers l’Est. En d’autres temps, la vallée de la Dordogne, bien que je la connusse
déjà, m’eût enchanté par sa beauté »...
228.
Dimitri MEREJKOVSKI
(1865-1941) écrivain russe. L.A.S., 16 décembre 1925, [à Léon
T
reich
] ; demi-page in-4.
300/400
« Voici la phrase que je préfère : “
Tous tes enfants, Mère, absous-les, sauve-les, protège-les !
” (prière de Div, prêtresse de la Vierge Céleste,
dans la
Naissance des Dieux
). Je préfère cette phrase-prière parce qu’elle est simple et éternelle »…
O
n
joint
un ensemble de documents relatifs à l’appel lancé en faveur de l’écrivain russe par Maurice
P
rozor
en 1925 : L.A.S. de
Prozor (janvier 1926) ; tapuscrit de l’appel signé par René
D
oumic
et plusieurs autres (Maurice Paléologue, Robert de Flers, C.M.
Widor, Henri Béraud, Brieux, André Hallays) avec l.a.s. d’envoi de Doumic ; liste de personnalités contactées, et réponses a.s. de Paul
Claudel, François de Curel et André Antoine, Claude Farrère, Georges Lecomte.