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MUSIQUE
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BERLIOZ HECTOR (1803-1869).
L.A.S., Paris 16 mai [1828], à son père
le Docteur Louis BERLIOZ ; 2 pages
in-4 (légèrement froissée, petites
réparations).
3 000 / 4 000 €
Belle lettre à son père annonçant son pre-
mier concert.
[Dans ses
Mémoires
(chap. XVIII), Berlioz a
raconté comment, amoureux fou de l’actrice
anglaise Harriet Smithson, il résolut de se
faire connaître d’elle ; il n’avait encore rien
donné au public que sa
Messe solennelle
à
l’église Saint-Roch. « Alors je tentai ce que
nul compositeur en France n’avait encore
tenté. J’osai entreprendre de donner, au
Conservatoire, un grand concert composé
exclusivement de mes œuvres ». Malgré l’op-
position de Cherubini, directeur du Conser-
vatoire, il obtint, grâce au surintendant des
Beaux-Arts Sosthène de La Rochefoucauld,
la salle de concert. Il fit jouer les ouvertures
de
Waverley
et des
Francs-Juges
(et un
air de cet opéra), la scène
La Révolution
grecque
, et, en remplacement de la cantate
La Mort d’Orphée
, le
Resurrexit
de sa
Messe
solennelle
. Si le concert remporta un succès
d’estime, Harriet Smithson n’en entendit
même pas parler. « En somme pourtant, ce
concert me fut d’une utilité réelle ; d’abord
en me faisant connaître des artistes et du
public ; ce qui, malgré l’avis de Cherubini,
commençait à devenir nécessaire ; puis en
me mettant aux prises avec les nombreuses
difficultés que présente la carrière du com-
positeur, quand il veut organiser lui-même
l’exécution de ses œuvres. Je vis par cette
épreuve combien il me restait à faire pour les
surmonter entièrement. Inutile d’ajouter que
la recette fut à peine suffisante pour payer
l’éclairage, les affiches,
le droit des pauvres
,
et mes impayables choristes qui avaient su
se
taire
si bien. »]
« Mon cher papa,
Je suis dans le moment critique, le jour de
mon concert approche. Après d’innom-
brables difficultés que j’ai vaincu successi-
vement, j’ai tout lieu d’espérer que je m’en
tirerai à mon honneur.
M
r
De Larochefoucault m’a accordé la grande
salle de l’école royale de musique, la plus
commode et la plus avantageuse de Paris ;
elle est aussi la plus économique. Quelques
démarches ont été faites auprès de lui par
le directeur de l’école [CHERUBINI], pour
l’empêcher de me l’accorder ; heureusement
je l’ai su à temps et d’après une lettre que
j’ai écrite à M
r
De Larochefoucault, il a sur
le champ envoyé l’ordre de mettre la salle
à ma disposition ». Il a été soutenu par le
député de l’Isère Chenavaz et le comte de
Chabrillant « dans cette négociation. A pré-
sent que le directeur de l’école voit que M
r
De Larochefoucault me protège, il me fait très
bon visage, il vient même ce matin de mettre
à ma disposition, tous les élèves des classes
de chant. Je me suis arrangé ce matin avec
le fermier du droit des indigens qui prélève
le quart de la recette des concerts publics.
Prenant en considération les frais que je suis
obligé de faire pour les choeurs de l’opéra
dont je ne puis me passer, il me laisse ma
recette complette en lui payant 150 francs
la veille du concert. Si vous pouvez m’aider
là dedans je vous prie de le faire, car mes
finances sont extrêmement basses et je ne
pourrais absolument pas lui payer cette
somme le samedi 24 mai si vous ne m’en-
voyez pas de l’argent avant cette époque.
Je rougis de vous en demander si souvent,
mais j’y suis forcé par ma position. […]
Adieu mon cher papa, dans quinze jours
j’espère que vous recevrez de moi de bonnes
nouvelles. […]
Votre affectionné fils H. Berlioz
Mon concert aura lieu le Dimanche 25 mai
jour de la Pentecôte » [il eut lieu en fait le
lendemain 26 mai].
Provenance
: ancienne collection Reboul.
Correspondance
, t. I, p. 186 (n° 87).