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MUSIQUE

de mots nouveaux dans la détresse pour

implorer la miséricorde de Dieu, elle répète

sans cesse la même invocation avec une foi

véhémente. La raison atteint sa limite. Seule

la foi poursuit son ascension ».

Jehan Alain a trouvé la chanson de Janne-

quin qui sert de thème aux

Variations

dans

un recueil de Weckerlin appartenant à sa

grand-mère ; c’est, selon Marie-Claire Alain,

« un hommage rendu aux maîtres anciens

français qu’Alain admirait et pratiquait. Après

une exposition de la chanson en manière

de

Récit de Hautbois

, vient une variation en

mode majeur :

Récit de Cromorne

. Le fugato

suivant fait alterner

Récit de Cornet

et

Tierce

en taille

. Un canon à trois voix prépare la

conclusion en douceur ».

Le Jardin suspendu

, c’est « l’idéal perpétuel-

lement poursuivi et fugitif de l’artiste, c’est

le refuge inaccessible et inviolable », avait

écrit Alain en tête d’un manuscrit primitif.

La pièce est construite, écrit Marie-Claire

Alain, « sur un

ostinato

de douze mesures. Il

y a cinq présentations de cet ostinato, varié

chaque fois de manière différente » : expo-

sition, reprise modulante, contrepoints en

gammes, contrepoints en triolets arabesques

cadentielles, et conclusion. « Une atmos-

phère de rêve baigne cette pièce solidement

charpentée ».

Composées en août 1937, les

Litanies

comptent 77 mesures, et ne comportent

pas de mesure chiffrée, juste des barres de

mesure encadrant des groupes de notes plus

ou moins réguliers, la plupart de 16 croches.

1101

ALAIN JEHAN (1911-1940).

MANUSCRIT MUSICAL autographe

signé,

Trois Pièces pour grand orgue

(1938) ; 3 cahiers in-fol. avec pages de

titre : [1]-9, [1]-5 et [1]-10 pages.

20 000 / 25 000 €

Précieux manuscrit de trois importantes

œuvres pour orgue, dont le grand chef-

d’œuvre des

Litanies

.

Ces

Trois Pièces pour grand orgue

com-

prennent

Le Jardin suspendu

[JA 71], écrit

en octobre 1934, les

Variations sur un thème

de Clément Jannequin

[JA 118] et les

Litanies

[JA 119] composées en 1937. Elles furent

créées par Jehan Alain lui-même à Paris, en

l’église de la Trinité, le 17 février 1938, et ont

été publiées chez Alphonse Leduc en 1939.

Le manuscrit est soigneusement noté à

l’encre noire sur papier à 16 lignes, avec

des indications très précises de registration ;

on relève quelques traces de grattages pour

correction. Il comprend successivement :

I.

Variations sur un thème de Clément

Jannequin

(titre et 9 pages), marqué au

début

Affeto

;

II.

Le Jardin suspendu

(titre et 5 pages),

dont le sous-titre « ou la vision de l’idéal

fugitif » a été biffé sur la page de titre et en

tête de la pièce ;

III.

Litanies

(titre et 10 pages) ; sur la page de

titre, Jehan Alain a inscrit cette épigraphe :

« Quand l’âme chrétienne ne trouve plus

Marie-Claire Alain commente : « Le caractère

obsessionnel du grand thème en mode de

ré transposé sur mi bémol s’impose dès

le début, scandé de battues irrégulières :

3+5+2+4+2. Jehan recherchait une musique

“magique”. Les

Litanies

se veulent envoû-

tantes. L’auteur y reprend certains passages

d’une

Fantasmagorie

composée quelques

années plus tôt, pièce écrite dans un train,

dont les roulements irréguliers inspirèrent

les rythmes contrastés du deuxième élé-

ment thématique. C’est bien le paradoxe

d’Alain que d’opposer dans la même œuvre

le comique au tragique. Mais très bientôt

l’élément tragique redevient dominant et

il s’impose jusqu’au paroxysme final. Trois

semaines après l’achèvement des

Litanies

,

notre sœur Marie-Odile trouvait la mort dans

un accident de montagne » ; à la suite de

ce drame, Jehan Alain rédigea l’épigraphe

qui figure en tête de la partition. Jehan Alain

confiait à son ami Bernard Gavoty : « Il faudra,

quand tu joueras ça, donner l’impression

d’une conjuration ardente. La prière, ce n’est

pas une plainte, c’est une bourrasque irrésis-

tible qui renverse tout sur son passage. C’est

aussi une obsession : il faut en mettre plein

les oreilles des hommes… et du bon Dieu ! »

Gavoty ajoutait : « Aujourd’hui, l’œuvre est

célèbre dans le monde entier, à juste titre,

car elle compte parmi les plus géniales qui

aient été écrites pour l’orgue ».

Discographie

: Marie-Claire Alain, dans

l’intégrale de l’œuvre pour orgue de Jehan

Alain (Erato 2000).