Previous Page  57 / 172 Next Page
Information
Show Menu
Previous Page 57 / 172 Next Page
Page Background

55

L

orettes

Précieux exemplaire enrichi d’un envoi de la main de Jules Goncourt adressé à la lorette Marie Lepelletier :

à Marie / / souvenir du vieux temps / / Edmond et Jules

Lorsqu’elle rencontra Edmond de Goncourt, Marie Lepelletier était une jeune fille de 16 ans. L’écrivain lui fit la cour au bal

Mabille et elle devint sa maîtresse avant d’aller dans les bras de Jules en 1847-1848. Elle est plusieurs fois citée dans le

Journal

des frères Goncourt, notamment en janvier 1855 : « Je retrouve une maîtresse de mes dernières années de collège, une maî-

tresse que j’ai désirée fixement, jusqu’à l’aimer pendant trois jours… Je me la rappelle rue d’Isly, dans ce petit appartement

où le soleil courait et se posait comme un oiseau. J’ouvrais le matin au porteur d’eau. Elle allait, en petite bonnet, acheter

deux côtelettes ; elle se mettait en jupon pour les faire cuire et nous déjeunions sur un coin de table avec un seul couvert de

ruolz et le même verre. C’était une fille comme il y en avait encore dans ce temps-là ; un reste de grisette battait sous son

cachemire : un jour, elle me demanda quatre sous pour aller à Mabille. Je l’ai rencontrée : c’est toujours elle, avec ses yeux

que j’ai aimés, son petit nez, ses lèvres plates et rouges, comme écrasées sous un baiser appuyé, sa taille souple — et ce

n’est plus elle. La jolie petite putain s’est rangée. Elle vit bourgeoisement, maritalement avec un photographe. Le ménage

a déteint sur elle. L’ombre de la Caisse d’épargne est sur son front. Elle soigne le linge, elle surveille la cuisine, elle gronde

une bonne, comme une épouse légitime, elle apprend le piano et l’anglais. Elle ne voit plus que des femmes mariées et vise

l’avenir, c’est-à-dire au mariage. Elle a enterré sa vie de bohème dans une armoire à glace» (

Journal

, éd. Robert Laffont, 2004,

p. 114).

Marie Lepelletier fut le modèle du personnage de Manette Salomon. L’histoire de cette dernière, libre et mystérieuse au

début et devenant une femme autoritaire, âpre au gain, suite à sa vie en couple avec Coriolis, n’est pas sans rappeler effecti-

vement la vie de Marie Lepelletier.

L’exemplaire est également enrichi d’une très rare photographie originale anonyme sur papier albuminé et contrecollée sur

carton, réalisée vers 1860, de Marie Lepelletier nue debout, se cachant le visage. Une légende manuscrite indique qu’il s’agit

d’une photographie de Manette Salomon.

Bel exemplaire, très bien conservé malgré quelques frottements d’usage aux charnières et aux coiffes. Timbre collé page

13, recouvrant une partie du texte.

Provenance : Julien Sirling, avec son ex-libris portant la devise latine «Semper tibi. »

65

65