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Histoire
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JAURÈS Jean
(1859-1914) homme politique.
2 manuscrits autographes signés « Jean Jaurès », [1905-
1906] ; 45 et 19 pages et demie in-4.
2 000 / 2 500 €
Deux articles parus dans
L’Humanité
sur le ministère Rouvier
.
[Maurice ROUVIER (1842-1911) fut Président du Conseil du 24 janvier
1905 au 7 mars 1906 ; après la démission de Delcassé, il prit égale-
ment le portefeuille des Affaires étrangères le 17 juin 1905. La crise
des inventaires fait tomber son gouvernement le 7 mars 1906.]
L’équivoque gouvernementale
(18 octobre 1905). « Ce qui fait peut-
être la force passagère, ce qui fait certainement la faiblesse essentielle
du ministère Rouvier, c’est que sa politique est toute d’ambiguïté et
d’incertitude. D’abord équivoque dans la politique internationale. Au
fond, M. Rouvier a porté un coup terrible à l’idée de revanche, mais
il n’osera pas se l’avouer à lui-même et à l’Europe. Quand donc la
France retrouvera-t-elle pour la revanche une occasion plus favorable
que celle que M. Delcassé avait ménagée ? Jamais. […] Du moment
que l’Angleterre et la France s’associaient pour refouler les prétentions
allemandes, pour briser son hégémonie militaire et pour anéantir sa
puissance navale, instrument de sa puissance industrielle, du moment,
que les deux nations engageaient cette partie formidable où la France
risquait sa vie, où l’Angleterre risquait sa grandeur, il est certain qu’elles
auraient mis toutes leurs forces au jeu, et qu’elles auraient cherché
avec toutes leurs armes tous les points vulnérables de l’ennemi. […]
La politique de M. Delcassé était funeste. Elle allait contre l’intérêt
profond de la démocratie républicaine, dont l’intérêt de la France est
inséparable. Mais du moins elle était servie par un grand esprit de
suite et par le courage des responsabilités ; et, du point de vue de
la revanche, c’est le chef-d’œuvre de la diplomatie française depuis
trente-cinq ans. […] M. Rouvier, lui, c’est d’abord contre le général
Boulanger, c’est ensuite contre M. Delcassé qu’il a sauvé la paix. C’est
la destinée extraordinaire du gambettisme de faire avorter périodi-
quement la politique de revanche. […] quand donc un gouvernement
aura-t-il la sagesse et le courage de proclamer la paix ? […] À cette
incertitude et ambiguïté de sa politique extérieure s’ajoute l’équivoque
de sa politique intérieure. Elle est faite de démonstrations à gauche
et d’opérations à droite. Surtout, elle est complètement destituée
d’idéal social. Quand elle n’est pas grossièrement réactionnaire, elle
flotte à l’aventure, sans vue d’ensemble, sans direction précise. Vice
d’autant plus grave que la politique extérieure du gouvernement, en
contrariant ce. qu’il y a encore d’idéalisme obscur dans le nationalisme
belliqueux, laisse les énergies françaises en quête d’un haut emploi.
Or, il n’y a qu’une grande œuvre socialiste qui puisse, dans la paix,
donner à la pensée et à la volonté de la France un haut essor »... Etc.
Le sens de la crise
(8 mars 1906). « En apparence, c’est sous la ren-
contre des voix de la droite, du centre, des socialistes et d’une partie
des radicaux que le ministère Rouvier est tombé hier soir. En fait, il
a succombé à ses incertitudes et à ses équivoques. Il n’inspirait plus
confiance à personne et depuis bien des jours son crédit politique était
épuisé. Hier, le centre et la droite, habitués à ses complaisances, à ses
faiblesses, à ses ménagements, ont cru qu’ils pouvaient lui demander
l’abandon définitif des inventaires, et une sorte de mise en sommeil
de la loi de séparation. Ils auraient bien voulu le conserver parce
qu’il répondait, dans l’ordre social, aux instincts conservateurs des
modérés et des réactionnaires. Mais comment le garder s’ils n’ob-
tenaient pas de lui une sorte de désaveu de la loi de séparation ? […]
Le gouvernement nouveau, s’il veut vivre, devra donc être formé tout
entier d’hommes pour qui la loi de séparation soit une loi nécessaire
et intangible, et qui ne se bornent point à l’accepter avec résignation,
mais qui emploient toute leur énergie à en faire comprendre l’idée
des plus aveugles et qui mettent à son service avec toute la force
légale du pouvoir exécutif, toute la force de persuasion dont dispose
en France un gouvernement de démocratie s’adressant au suffrage
universel. Par là, toutes les résistances ne tarderont point à tomber
et la loi nouvelle, loi de liberté, loi de justice, entrera dans les mœurs
et les faits sans que l’on ait à déplorer de sanglantes collisions. […] Au
ministère républicain, quel qu’il soit, qui aura demain la responsabilité
du pouvoir, nous n’avons, nous, socialistes, à demander que ces deux
choses : qu’il soit sans équivoque, sans subterfuge, le gouvernement
des républicains luttant contre la puissance cléricale ; qu’il soit contre
les agités, les spéculateurs et les mercantis, le gouvernement de la
paix. C’est au prolétariat à conquérir le reste par sa propagande et
par son organisation ».