198
les collections aristophil
958
JAURÈS Jean
(1859-1914) homme politique.
2 manuscrits autographes signés « Jean Jaurès »,
[juillet-août 1905] ; 6 pages et demie in-fol., et 25 pages
in-fol. ou in-4.
2 000 / 2 500 €
Deux articles parus dans
L’Humanité
sur la politique extérieure
.
L’énigme
(25 juillet 1905). « M. Gaston LEROUX qui, si souvent, a envoyé
de Pétersbourg d’importantes et intéressantes correspondances,
propose, dans
le Matin
, une explication du voyage du tsar. C’est, dit-il,
d’après les renseignements qu’il a pu recueillir, Guillaume II qui a eu
l’initiative de l’entrevue. Il pense à l’avenir ; et il s’emploie à prévenir
toutes les combinaisons qui peuvent un jour isoler l’Allemagne. Or
la Russie, en négociant la paix avec le Japon, rêve de conclure avec
celui-ci un traité d’alliance. Par là elle réparerait en quelque mesure
les désastres de la guerre. Elle se ménagerait le moyen d’agir en
Asie, non plus contre le Japon, mais d’accord avec lui et elle pour-
rait encore développer son influence en Chine. Mais si la Russie
forme une alliance avec le Japon, c’est-à-dire, indirectement, avec
l’Angleterre alliée du Japon, l’Allemagne se trouve seule en face
d’un formidable groupement de puissances, coalisées et inspirées
par l’Angleterre. Et de même que Guillaume II a essayé, à propos du
Maroc, de rompre le lien de la France et de l’Angleterre, il essaie,
en appelant Nicolas II, de prévenir toute combinaison entre l’Angle-
terre et la Russie. [...] quand le tsar accepte de se rendre à l’appel du
Kaiser, quand il se résigne ainsi à inquiéter et à blesser l’Angleterre,
il entre par là même dans une sorte d’alliance avec l’Allemagne ; et
ceux de nos diplomates et de nos hommes politiques, avant-hier
M. Delcassé, hier M. Clemenceau qui, dans leurs combinaisons de
politique extérieure, n’ont pas tenu compte de la possibilité, de la
probabilité d’une entente russo-allemande, ont bâti sur le vide le plus
fantastique édifice de pensée ».
Réponse à M
r
Bocquillon
(11 août 1905). Polémique avec Émile
Bocquillon (1868-1966), apôtre d’un « nationalisme chauvin et rétro-
grade » : « tout le progrès de la civilisation consiste précisément à
contenir, à régler par la justice la préférence passionnée que nous
avons pour nous-mêmes et pour les organismes immédiats dont nous
faisons partie. La patrie elle-même est la subordination des familles
à une loi commune qui contrôle et refoule leurs égoïsmes »… Il faut
rappeler aux patries « qu’il est temps qu’elles soumettent leurs rivalités,
leurs convoitises, leurs fureurs jalouses, leurs prétentions violentes
à des règles de modération et de justice, à des règles humaines. Il
est temps qu’elles apprennent à respecter les unes dans les autres
des portions également nobles, également précieuses d’une même
humanité. […] À coup sûr, dans toute société, parvenue à un certain
degré de civilisation, à un certain moment de l’évolution humaine,
il y a des liens communs à tous les citoyens. Ces liens, qui sont le
fruit d’une longue évolution antérieure et d’une série de révolutions
bienfaisantes, tous les citoyens ont intérêt à les défendre : indépen-
dance nationale, liberté politique, puissance de production. Et la
classe révolutionnaire ne nie pas la valeur de ces liens ; elle ne veut
ni les compromettre ni les abolir, mais les affermir au contraire, les
agrandir, les compléter dans un ordre nouveau et supérieur. Mais
ce substratum de solidarité sociale n’exclut nullement l’antagonisme
des classes : elles se disputent au contraire ce terrain où l’une veut
maintenir la forme de propriété qui favorise son exploitation ; où
l’autre veut édifier une forme nouvelle de propriété ; où toutes les
énergies productives trouvent un abri égal »...