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les collections aristophil
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JAURÈS Jean
(1859-1914) homme politique.
2 manuscrits autographes signés « Jean Jaurès »,
[décembre 1904] ; 39 et 44 pages in-fol. (le second ms porte
le timbre sec de la
Collection Justin Godart
).
2 000 / 2 500 €
Deux articles parus dans
L’Humanité
sur l’affaire Syveton
.
[Gabriel SYVETON (1864-1904), député nationaliste connu pour
ses attaques contre le ministère Combes, a été retrouvé mort le 8
décembre 1904, à la veille de son procès pour avoir giflé le ministre
de la Défense ; la police ayant conclu à un suicide (Syveton étant
compromis dans des malversations financières et des affaires de
mœurs), sa mort avait alimenté un climat de troubles, les milieux
nationalistes développant la théorie d’un complot et d’un assassinat
sur ordre de la franc-maçonnerie.
Leur embarras
(28 décembre 1904). Jaurès a démontré que « si M.
Syveton a été assassiné, comme, je le crois, la veille du procès était
précisément pour les assassins ou leurs amis la date de choix. Elle
leur permettait d’imaginer une sorte d’alibi moral et la diversion du
suicide. Elle leur permettait de dire que M. Syveton s’était suicidé
pour éviter les révélations infamantes qui pouvaient éclater sur lui
le lendemain. Ou encore ils pouvaient se réfugier dans l’épaisseur
de la sottise nationaliste et insinuer qu’une mystérieuse influence
maçonnique et gouvernementale avait précipité le drame à la veille
même du jour redouté par les dirigeants. Ils se déchargeaient ainsi
dans le gouffre de l’ineptie nationaliste de leur fardeau de crimes
comme un assassin jetant le cadavre dans un abîme »… Jaurès
examine longuement les circonstances du drame, le rôle de Mme
Syveton et de son amant, qui apparaissent comme des suspects,
pour conclure : « Dans les conditions où le drame s’est produit, le
suicide est une impossibilité morale et matérielle. C’est bien en face
d’un assassinat que nous sommes, en face d’un crime monstrueux
de droit commun que les meutriers essaient de déguiser ou en un
suicide ou en un attentat politique ».
Suicide impossible
(30 décembre 1904). « Impossibilités morales.
Impossibilités matérielles. Pourquoi, en effet, M. Syveton se serait-il,
suicidé la veille de son procès ? Est-ce parce que sa famille lui a
témoigné, à la suite de terrifiantes découvertes, un tel dégoût qu’il
a été pris d’une sorte de défaillance de la volonté de vivre et qu’il
s’est supprimé lui-même ? Mais, même en supposant M. Syveton
coupable des actes d’immoralité […] et des actes d’improbité que
la veuve a tardivement invoqués contre lui, sa famille n’avait guère
qualité, semble-t-il, pour lui parler avec cet accent d’autorité morale
qui éveille le remords »... Jaurès démonte une à une les hypothèses
d’un scandale qu’aurait eu à craindre Syveton ; il rejette la thèse du
complot soutenue par les nationalistes ; il examine minutieusement
les circonstances du drame et conclut : « Avoir choisi le moyen de
suicide le plus long et ne prendre aucune précaution pour n’être
pas troublé dans l’opération serait d’une étourderie inconcevable.
Et il suffit de noter ce fait si simple, mais si décisif, pour enlever au
suicide toute vraisemblance »…
On joint
une L.A.S. de Joseph REINACH à Jaurès [carte-lettre, 2 janvier
1905] : « “Colère jalouse” – c’est la clef du drame […] Syveton, c’est
Julien Sorel, entre Madame de Rénal et M
lle
de la Môle, la maîtresse
(ou la femme) trompée, et la maîtresse triomphante »…