TAJAN - Paris. LIVRES et AUTOGRAPHES

TAJAN -33 qu’en zone libre. Malgré cela, dès novembre 1942, le premier tirage est rapidement épuisé. Un second tirage est réalisé, puis un troisième en avril 1943, les deux dans les mêmes proportions. Cette année 1943, deux articles parus dans un numéro des Cahiers du Sud permettent au roman de s’imposer dans le monde intellectuel français : un article élogieux de Jean Grenier, qui revient sur ses réserves émises à la lecture du manuscrit, et un essai de Jean-Paul Sartre, “L’Explication de L’Étranger”, qui compare L’Étranger à une conte philosophique et fait de Camus un classique. En 1944, la reconnaissance intellectuelle est bien là. À la libération en août 1944, Combat sort de la clandestinité et devient incontournable, Camus en est le rédacteur en chef. L’Étranger confirme alors l’intérêt que lui porte le milieu d’amateurs avertis. Sa consécration sera bien postérieure : “Camus n’a pas connu l’énorme succès populaire de son premier roman publié, il est impossible de savoir exactement ce qu’il en aurait pensé”.16 Plus de quatre-vingts ans après sa publication, L’Étranger maintient son statut d’œuvre iconique et sa carrière de best-seller. L’Étranger est le troisième ouvrage francophone le plus lu dans le monde, et le deuxième succès littéraire, après Le Petit Prince de Saint Exupéry, des éditions Gallimard. La redécouverte de ce mythique manuscrit est l’occasion pour tous de se replonger dans l’étrange histoire de Meursault. --------- Un immense merci pour nos échanges et pour leurs éclaircissements : à Alice Kaplan, professeur de littérature française à l’université Yale ; à Anne Prouteau, Présidente de la Société des Études Camusiennes ; à Françoise Theillou, professeur de Lettres classiques et spécialiste de Malraux ; et à Jean-Loup Leguay, des Musées d’Amiens pour son aide concernant Gérard de Berny. 16 Alice Kaplan, En quête de l’Étranger, op. cit., p. 222. son accord et son enthousiasme. Le 8 décembre 1941, Gaston Gallimard propose un contrat à Camus. “La version de L’Étranger que Camus a envoyée à Pia et à Grenier n’a pas survécu telle quelle, et il est impossible de savoir avec certitude à quoi elle ressemblait. Quant à savoir si elle était manuscrite ou dactylographiée, les avis divergent.”15 Ainsi, on comprend que plusieurs manuscrits circulaient ; Francine fut d’ailleurs chargée, depuis Oran, de dactylographier des copies de L’Étranger. Au moment de l’impression, c’est un certain chaos. Pascal Pia craint des confusions pour la publication. Dans une lettre datée de Lyon, 16 mars [1942], il écrit à Camus : “Pour l’Étranger, c’est le manuscrit corrigé que j’ai expédié en septembre dernier aux Gallimard à leur adresse de Cannes, d’où Raymond G. m’a accusé réception de l’envoi (où se trouvaient également Sisyphe et Caligula). L’autre manuscrit (première version) était alors chez Malraux. Je vais m’assurer que celui-ci n’a pas en fin de compte remis cet autre manuscrit à G. G., ce qui évidemment aurait pu provoquer ensuite une confusion. Mais jusqu’à preuve du contraire je demeure persuadé que c’est le bon manuscrit que Paulhan aura lu et confié à l’imprimeur. Quelques jours avant de recevoir votre lettre, j’avais eu une carte interzone de Queneau, qui semble s’occuper de la fabrication rue Sébastien-Bottin et qui me faisait part de la crainte qu’il avait que le manuscrit donné à la composition ne fût pas le bon. Je lui ai répondu aussitôt qu’il fallait utiliser le manuscrit reçu à Cannes par R. Gallimard. Vos indications, si par hasard Gall. avait eu deux manuscrits au lieu d’un seul, permettront à Paulhan et à Queneau de reconnaître celui qu’ils doivent publier. N’ayez pas d’inquiétudes.” Édition originale et réception du roman : L’Étranger est achevé d’imprimer le 21 avril 1942 et tiré à 4400 exemplaires dont 400 réservés au service de presse, sans mention d’édition. Il n’y eut pas de grands papiers. Cette édition originale est remise aux libraires parisiens et de la France occupée en mai 1942, puis en juin en zone libre. Dans un premier temps, la réception du roman est mitigée, il est mieux accueilli paradoxalement dans le Paris occupé, 15 Alice Kaplan, En quête de l’Étranger, op. cit., p. 124.

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