TAJAN - Paris. LIVRES et AUTOGRAPHES

TAJAN -32 Bonet en 1958 (ce manuscrit est aujourd’hui conservé à la bibliothèque Beinecke de l’université Yale, GEN MSS VOL 408). - Depuis 1991, collection particulière. L’ÉTRANGER, UNE OEUVRE ANCRÉE DANS LA MÉMOIRE : Lorsque le 30 avril 1940, Camus achève son manuscrit, dans sa petite chambre d’hôtel à Montmartre et dans une sorte d’état second, il écrit à Francine : “Je t’écris dans la nuit. Je viens de terminer mon roman et je suis trop énervé pour songer à dormir. (...) Je ne veux pas trop m’attarder dessus parce qu’en réalité, je le porte depuis deux ans et j’ai bien vu à la façon dont je l’écrivais qu’il était déjà tout tracé en moi. (...) Je n’ai jamais rien écrit avec cette continuité et cette facilité. Je dors mal en ce moment et j’ai des insomnies. Aux moments où je me réveille, il m’arrive de voir clairement toute une suite d’œuvres que j’écrirai comme celle-ci, sous la dictée, et comme si maintenant tout était clair dans mes projets et dans l’univers que je voudrais illustrer.” En 1940, Camus évoque un roman “tout tracé”, écrit “avec continuité et facilité”, “sous la dictée”, pour “illustrer” son univers… On pourrait en dire autant de ce manuscrit autographe, dans cette même énergie qu’il dégage. DES MANUSCRITS À L’ÉDITION ORIGINALE : Genèse du roman : En 1937, alors que Camus a déjà publié, à Alger chez son ami Edmond Charlot, son premier ouvrage L’Envers et l’endroit — suivi de Noces en 1939 — ses Carnets révèlent des notes concernant le projet de L’Étranger ; les esquisses se multiplient et en été 1938 un plan de travail se précise ; le 14 mars 1940, quand Camus quitte Oran pour venir travailler au journal Paris-Soir à Paris (il restera en France jusqu’en décembre 1940), le premier chapitre est sans doute déjà rédigé. En un mois et demi environ, de mi-mars au 30 avril 1940, il compose la totalité du roman. Le texte est révisé durant l’été 1940, et une deuxième fois au début de 1941 lorsque Camus retourne à Oran. Épopée des manuscrits de L’Étranger : En avril 1941, Camus envoie d’Oran un manuscrit jusqu’à Sisteron pour Jean Grenier, qui émet des réserves, et un autre manuscrit à Lyon pour Pascal Pia : ce manuscrit voyage ensuite entre Cannes, Nice, Cap d’Ail puis Paris, passant entre les mains de Roland Malraux et André Malraux. Malraux s’enthousiasme, et adresse à Pia des commentaires à transmettre à son jeune protégé : Camus retravaille alors la scène du meurtre et celle de l’aumonier, et en septembre 1941, une nouvelle version est envoyée, toujours par l’intermédiaire de Pia, à Raymond Gallimard à Cannes, qui l’apporte à Paris à son frère Gaston. Jean Paulhan, le conseiller le plus influent de la maison Gallimard, confirme (chargé de la mise en fabrication du livre chez Gallimard) ? Cet usage aurait alors été personnel. Il semble plus probable qu’il soit une reconstitution autographe exceptionnelle, composée bien avant la consécration nationale et internationale de l’écrivain (car publié en avril 1942, en pleine guerre, L’Étranger de Camus suscite d’abord l’attention du milieu intellectuel et littéraire). Ainsi, si la destinée de ce manuscrit fut directement bibliophilique, à qui Camus le confia-t-il ? René-Louis Doyon13 (lié à André Malraux) ou Roland Saucier14 (que les collectionneurs connaissaient bien chez Gallimard) auraient-ils pu intervenir comme intermédiaires ? Apparitions exceptionnelles : Ce volume ne fut visible que deux fois en ventes publiques, en 1958 et 1991 — à trente-trois ans d’écart, et aujourd’hui aussi trente-trois ans après — ; dans ces deux catalogues, il était daté 1940, et présenté selon une même description. On ne lui connaît donc que 3 propriétaires : - Bibliothèque Gérard de Berny, avec ex-libris. Vente Ader, Pierre Chrétien expert - Ière partie, 27 novembre 1958, n° 127. Roger-Louis-Gérard de Berny (1880-1957), sénateur de la Somme, réunit une très importante collection dont une exceptionnelle bibliothèque, qui fut dispersée en deux ventes (1958 et 1959) au profit d’œuvres sociales. Un autre manuscrit important y côtoyait celui de L’Étranger : L’Homme révolté (157 pp.), également en reliure de P.-L. Martin (ce manuscrit est aujourd’hui conservé à la bibliothèque Houghton de l’université de Harvard, MS Fr 194). Dans une même collection, deux manuscrits autographes d’un auteur contemporain et vivant… L’hôtel particulier de Gérard de Berny devint le musée picard de la ville d’Amiens. Malheureusement, les institutions publiques des Archives départementales de la Somme et des musées d’Amiens ne conservent aucun document relatif à la bibliothèque de ce collectionneur, et notamment à sa constitution. - Bibliothèque du Professeur Millot. Vente Ader-PicardTajan, 15 juin 1991, n°45. Professeur de médecine, Président de la Société des études raciniennes, Président de la Société de la reliure originale, Jacques Millot (1897-1980) avait réuni une importante collection dont les deux premières ventes furent consacrées à la Révolution de 1789 (1958) et aux auteurs classiques du XVIIe siècle (1975). Ce manuscrit de L’Étranger était la pièce maîtresse de la troisième vente, autour de la littérature du XXe. Cette collection contenait également le manuscrit du Mythe de Sisyphe, que Jacques Millot avait fait relier par Paul 13 R ené-Louis Doyon (1885-1966) avait fondé en 1917-1918 la librairie et maison d’édition La Connaissance ; André Malraux avait travaillé pour lui dans les années 1920. 14 R oland Saucier (1899-1994), directeur de la Librairie Gallimard du boulevard Raspail de septembre 1921 à mars 1964, lui-même grand bibliophile, joua un rôle central dans le cercle des écrivains, artistes et collectionneurs.

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