TAJAN - Paris. LIVRES et AUTOGRAPHES

TAJAN -30 inédits de papiers personnels de Josette Clotis, publiés par Françoise Theillou9, témoignent de cette sympathie : “17- J’aimais beaucoup Camus. Il est comme des gens qu’on connaît, clair et compréhensible. Il n’avait pas cet air odieux, inabordable de mes invités de l’avant guerre. 18- Camus me plut tout de suite infiniment. D’abord j’aimais son rapport avec Bimbo [Pierre-Gauthier Malraux]. C’était un garçon pas très grand, avec des cheveux un peu frisés, un grand front, des yeux, en effet, clair (comme il le définit lui-même), des traits ronds et bosselés qui ne le faisaient pas du tout agressif, pas du tout inabordable.” Françoise Theillou10 explique qu’en effet, en pleine occupation, au printemps 1944, c’est avec l’aide de Camus que Josette Clotis (ayant quitté un temps Saint-Chamant où elle s’est réfugiée avec ses fils), peut venir voir à Paris André Malraux, qui se cache de la Gestapo. Datation : enquête en cours… Dans son passionnant récit En quête de L’Étranger, la chercheuse américaine Alice Kaplan évoque un entretien (le 14 novembre 2014) avec Catherine Camus, selon laquelle ce manuscrit date d’ “une après-midi insolite à Neuilly”, en “juillet 1944” : “Non seulement le document est de sa main, mais Camus lui donne l’apparence d’un premier jet.”11 Même si l’exercice est courant à une époque où il n’y a pas de photocopieuses, il est difficile d’imaginer ce travail manuscrit en une seule après-midi, avec l’intégration fluide de si nombreuses variantes et commentaires marginaux. Engagé dans le mouvement de résistance depuis mai 1943, Camus est, en 1944, rédacteur dans la revue clandestine Combat. Dès le 1er juillet 1944, il se sent menacé à Paris, les représailles et les exécutions sont de plus en plus nombreuses, et Combat est une cible pour la Gestapo ; Camus quitte alors Paris. “Le poète René Leynaud, sous le nom de code “Clair”, est à la tête du mouvement de résistance Combat dans la région lyonnaise. Il est arrêté et fusillé en mai 1944. En juillet, Jacqueline Bernard, qui travaille en étroite collaboration avec Camus pour le journal clandestin du mouvement, est arrêtée et déportée à Ravensbrück. L’imprimeur du journal à Lyon, qui porte le nom de code “Vélin”, est pourchassé par la Gestapo et mis à mort. Flairant le danger, Camus quitte Paris début juillet. Il se réfugie à Verdelot, dans une maison qui appartient à Brice Parain, son collègue chez Gallimard”12. MYSTÉRIEUX MANUSCRIT : Un parcours incertain : Les correspondances autour de Camus évoquent plusieurs manuscrits et dactylographies. Ce manuscrit pourrait-il être le “double du texte définitif” conservé par Camus et qu’il évoque dans une lettre du 10 mars 1942 à Queneau 9 Françoise Theillou, Je pense à votre destin : André Malraux et Josette Clotis - 1933-1944. Grasset, 2023, p. 141. 10 Françoise Theillou, Je pense à votre destin, op. cit., p. 113. 11 Alice Kaplan, En quête de L’Étranger. Gallimard, 2016, pp. 191. 12 Alice Kaplan, En quête de L’Étranger, op. cit., pp. 191-192. ajouts marginaux aux ff. 35, 36, 39, le petit trou brun sur le dernier feuillet f. 102 (comme une trace de cigarette) sontils des marques intentionnelles ? Il est revêtu d’une superbe reliure de Pierre-Lucien Martin, ornée d’un décor géométrique de filets or et au palladium, réalisé avec une perfection technique caractéristique. Datée de 1953, cette reliure est à peine postérieure au manuscrit. Elle est proche de celle que le relieur réalisa en 1952 sur une édition originale de L’Homme révolté (n° 10 du cat. de l’exposition Pierre-Lucien Martin, Bibliothèque Wittockiana, 1987), avec le même usage de filets dorés, composant pour celle-là des losanges. CIRCONSTANCES SINGULIÈRES POUR UNE ŒUVRE CONFIDENTIELLE Pour l’édition de la Pléiade de 1991, Roger Quilliot adopte la date manuscrite par Camus, “Avril 1940”, tandis qu’en 2006, André Abbou (Pléiade), qui avait consulté ce manuscrit en 1968-1969 dans la bibliothèque du Professeur Millot, perçoit une reconstitution postérieure à l’édition, et donne la date de 1944, suivant le témoignage de Francine Camus 7 : “Francine Camus a bien voulu nous confirmer en avril 1970 cette déduction en reconnaissant que ce manuscrit avait été rédigé en 1944, après la publication de L’Étranger, par Camus, sous la dictée de Josette Clotis, compagne de Malraux à l’époque, sans doute pour satisfaire les besoins d’argent du jeune écrivain”. Nécessité fait loi : En 1944, les ressources d’Albert Camus sont minces ; il vit grâce à une avance de Gallimard perçue sur ses droits d’auteur (2500 francs mensuels), et depuis novembre 1943, il est embauché comme lecteur chez Gallimard (4000 francs mensuels). Ce manuscrit, en tant qu’acte de reconstitution à l’attention des bibliophiles, est une exception dans l’œuvre de Camus — la situation financière de Camus se stabilisant par la suite, avant de s’améliorer pleinement après l’obtention du Prix Nobel de littérature en 1957. Une aide amicale : Josette Clotis8, compagne d’André Malraux, et Albert Camus n’ont que trois ans d’écart ; leurs liens ne sont pas intimes, simplement amicaux. Deux notes parmi les fragments 7 F rancine Faure (1914-1979) épousa Albert Camus en décembre 1940. 8 N ous n’avons pas trouvé de témoignages de l’intervention de Josette Clotis, malgré nos échanges avec la spécialiste Françoise Theillou, ni dans l’ouvrage de Suzanne Chantal, Le Cœur battant, Josette Clotis - André Malraux. Grasset, 1976. La passion entre la jeune romancière Josette Clotis (1910-1944) et André Malraux (1901-1976) débute en 1933 dans le tourbillon du succès de La Condition humaine ; séparé de Clara Goldschmidt en 1937, André Malraux a deux fils avec Josette Clotis : Pierre-Gauthier, né en 1940 (surnommé Bimbo), et Thierry-Vincent, né en 1943. Mais la famille connaît un sort tragique : Josette Clotis meurt le 12 novembre 1944 dans un accident de chemin de fer à Brive-laGaillarde, et leurs deux fils décèdent dans un accident de voiture le 23 mai 1961, alors que Malraux était ministre des affaires culturelles.

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