PESCHETEAU-BADIN . LIVRES ET MANUSCRITS – BIBLIOTHÈQUE DANIEL JOUVE

88 [fils de Michel-Louis-Étienne, ancien officier d'ordonannce de Napoléon Ier et futur maréchal du Second Empire] & moi, NOUS AVONS ÉTÉ ENSUITE TROUVER DES LITS COMPOSÉS D'UNE PAILLASSE DE MAÏS & D'UN LIT DE PLUMES– nous avions de précaution porté des couvertures, & avec cela nous n'avons pas gelé & nous avons dormi. LE LENDEMAIN, C'ÉTAIT HIER, NOUS SOMMES ALLÉS À 8 MILLES VOIR UNE AUTRE MAISON,très voisine de celle que je t'ai décrit. Il est impossible de trouver un plus parfait contraste. La tenure de celle-ci n'est que de 130 acres, mais la maison, sans être plus grande, est un petit miracle de bonne tenue, de conservation, d'ordre & de propreté, un grand vestibule en bas, un sallon, une salle à manger, une chambre à coucher, des offices, & une salle pour les gens avec une cuisine, rangés à merveille. Des vaches, des génisses, des veaux, des bœufs, des chevaux, des poulains, des mérinos vaguans dans les terres autour de la maison, et les écuries, les granges, les remises, les greniers, enfin tout ce que nous appellons servitudes, tenues à ravir. LE MAÎTRE DE LA MAISON AVEC UN AMI, SAFEMME & SABELLE-SŒUR, DÉJEUNOIENT AVEC UN MORCEAU DE PORC RÔTI & FROID, DES GALETTES DE BLED NOIR OU SARRASIN, METS FAVORI DU PAÏS, ETDUTHÉ –peu après, à une table presqu'aussi propre, nous avons vu les gens manger la même chose. Le femme ne veut plus rester à la campagne, elle veut habiter New York, et le mari vend à regret le domaine qu'il a créé... Il n'y a dans l'achat des terres une chance de péril & de succès, de bien-être & de ruine. Puissions-nous ne pas être forcés d'en courir aucune dans le païs. je ne veux pas t'en éloigner dans le cas où ce seroit notre ressource, mais je ne veux pas non plus que tu le voie[s] trop en beau, car LES HABITATIONS SONT DES CABANES DANS DES DÉSERTS.ON Y A LE NÉCESSAIRE AVEC ABONDANCE, MAIS IL Y FAUT RENONCER À TOUTES LES PETITES JOUISSANCES DE LA VIE, À CETTE ÉLÉGANCE DE MŒURS QUI EN FAIT LE CHARME, À TOUT CE QUE LES HABITUDES D'UNE VIE PARISIENNE ONT ÉRIGÉ EN BESOIN.Je serois bien attristé pour toi, cher amour, si je te voyois confinée dans un tel lieu... » (5 pp. 2/3 in-4, adresse au dos). Sur Laure Guesnon de Bonneuil, épouse de Regnaud, voir ci-dessus le n° 85. Lettre écrite dans la maison américaine de Joseph Bonaparte — À Marie-Barbe de La Tour. « Brisepointe près Bordenton» [Point Breeze près de Bordentown dans le New-Jersey, probablement juin 1816]. « ... JE HAIS DE TOUTES LES PUISSANCES DE MON ÂME LE GOUVERNEMENT ANGLOIS,& plusieurs hommes de ce païs à qui l'Europe a dû & devra ses malheurs, MAIS IL EST DES ANGLOIS QUE J'AIME & ESTIME, et Castlereagh ne me fera jamais être injuste envers M. BRUCE& LORDLANDSDOWN... » Il mentionne ici Robert Stewart, vicomte Castlereagh, ministre des Affaires étrangères de l'Angleterre ; Michael Bruce, qui fut l'amant de l'aventurière Lady Stanhope comme de la maréchale Ney, et qui aida le comte de Lavalette à s'évader en 1815 ; Henry Petty-Fitzmaurice, marquis de Lansdowne, membre de la Chambre des Lords, cousin de Lord Holland, comme lui membre influent du parti whig, libéral et francophile... Regnaud évoque également longuement le sort de ses proches, les incertitudes de l'avenir, avec remarques inquiètes mais pleines d'espoir : « ... Je crois à une destinée, ouvrage d'une Providence souvent plus sage que nous. Il ne faut pas laisser prendre au sentiment assés de force pour qu'il repousse les conseils de la raison. Quand les fondemens de notre avenir sont ébranlés ou détruits, il faut bénir le sort qui jette d'autres bazes de confiance & d'espoir... Parlés de moi à l'excellent chansonnier, je lui écrirai, à m[a]d[am]e Delambre, à son mari. Est-ce que par M. Humboldt, qui est de retour, vous ne pouvés pas avoir des renseignemens sur ce qu'on peut tenter dans le choix de sa résidence en Europe? J'ai appris avec plaisir qu'il étoit de retour à Paris... » (2 pp. 2/3 in-4). Il s'agit là du poète et auteur dramatique Antoine-Vincent Arnault (beau-frère de l'épouse de Regnaud), qui fut un proche de Napoléon Bonaparte sous le Consulat et qui fut compris dans l'ordonnance de proscription de juillet 1815 ; de l'astronome Jean-Baptiste Delambre, qui mesura la longueur du méridien pour déterminer le mètre décimal ; de l'épouse de celui-ci, Élisabeth Sinfray, amie intime du naturaliste et grand voyageur allemand Alexander von Humboldt. Seconde mère de la femme de Regnaud de Saint-Jean-d'Angély, Marie-Barbe Guesnon de Bonneuil, était en fait la cousine de celle-ci. Elle avait épousé Louis-Marie Hutot de La Tour, ancien intéressé dans les affaires du roi puis administrateur des hôpitaux militaires, devenu un des plus importants actionnaires de la Banque de France. Alors que la mère de Laure était souvent absente, madame de La Tour, de vingt ans son ainée, joua véritablement auprès d'elle un rôle maternel. Regnaud, qui l'appelait parfois « maman », semble avoir nourri pour elle une forme d'amitié amoureuse.

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