PESCHETEAU-BADIN . LIVRES ET MANUSCRITS – BIBLIOTHÈQUE DANIEL JOUVE

86 place dans une auberge. Les logemens les meilleurs, où on vit à table d'hôte pour une gourde et demie ou deux gourdes par jour [la gourde avait été la monnaie de transaction dans les colonies françaises des Antilles], ne vous fournissent qu' UN LIT FORT MAUVAIS DANS UNE CHAMBRE OÙ VOUS N'ÊTES PAS SEUL LA PLUPART DU TEMPS.Il y a aussi des pensions à une gourde par jour, où ONMANGEÀL'AMÉRICAINE 20, 30 & JUSQU'À 40 DANS UNE GRANDE SALLEcomme celles où on fait noces & festins. Il y a quelques pensions bourgeoises du coin, tenues par des Français, où on est moyennant une gourde, mais très mal... M. Lescalier, cy-dev[an]t consul général, dont le successeur est arrivé il y a 8 jours, nous a offert sa table & deux lits – nous avons préféré cette proposition d'un vieil ami, jadis mon obligé... Quant à l'établissement pour l'avenir, j'ai eu un moment l'espérance que Lescalier resteroit jusqu'au mois de mai parce qu'il a sa maison louée jusque là, mais il n'y a pas à présent lieu de l'espérer. J'aurois contribué à la dépense & vécu avec lui, cela étoit convenu – mais n'ayant aucune fortune, il veut... vivre ici dans une ville moins dure que New York – en effet, tout est ici hors de prix [Regnaud détaille ici longuement le coût de la vie à New York : logement, nourriture, objets du quotidien, blanchissage, etc.] Je n'exagère pas en disant qu'ici on n'obtient pas avec 25000 par an ce qu'on auroit à Paris en dépensant 10000 ff. SI LE SORT NOUS OBLIGE À NOUS FIXER EN AMÉRIQUE, IL SERA, JE CROIS, IMPOSSIBLE, DE S'ÉTABLIR À NEWYORK. PHILADELPHIE, BALTIMORE, PASSENT POUR ÊTRE BEAUCOUP MOINS CHERS... Les journaux ont annoncé mon arrivée dès le dimanche matin, & le soir J'AI REÇU DES VISITES DE FRANÇAIS RÉFUGIÉS RÉCEMMENT OU ANCIENNEMENT, & DE PLUSIEURS AMÉRICAINS PATRIOTES, c'est-à-d[ire] opposés à ceux qui tiennent pour les Anglois. Le consul de Suède, quelques personnes que j'ai vues autrefois en France, m'ont prévenu de civilités. Je n'ai encore remis aucune de mes lettres de recommand[ati]on. M. Parisle, celui à qui Ouvrard m'a adressé, est dans ses terres près de l'Ohio, & ne revient que le mois prochain. Mais j'ai reçu dès le dimanche la visite d'un homme que je ne connaissois pas, M. [James] Carret, attaché à M. Rey de Chaumont, françois, riche propriétaire ici [le financier franco-américain James Le Ray de Chaumont], et qui est secrétaire DE J[oseph] BONAPARTE, LEQUEL EST ARRIVÉ ICI IL Y A 6 SEMAINES... JE L'AI VU, LUI... NI LUI NI LES SIENS NE SONGENT À CONTINUER AUCUN RÔLE POLITIQUE ET N'ASPIRENT QU'À VIVRE EN PAIX DANS UN COINS DU MONDE. Pour moi, chère enfant, c'est aussi après la paix et après toi & les nôtres que mon pauvre cœur aspire... Cependant, mon amour, plus je vois ce païs moins je trouve qu'il convient pour toi sous tous les rapports. Le froid surtout qui y règne si longtems te seroit insupportable... BEAUCOUPDE FRANÇAIS, CEPENDANT, ANNONCENT L'INTENTION DE RESTER ICI OU D'YVENIR. J'AI VU DES RÉFUGIÉSde la Guadeloupe & de La Martinique où on porte la cocarde blanche & noire & où les Anglois commandent, qui songent à s'établir sans savoir où encore. L'IDÉED'UNE COLONIE FRANÇAISE EST DANS BEAUCOUP D'ESPRITS[allaient bientôt naître la Vine and Olive Colony et le Champ-d'asile], et c'est avec cette consolante chimère que beaucoup d'entre eux adoucissent le présent & colorent moins tristement l'avenir. Parmi ces pauvres réfugiés, courageux, résignés, français dans l'âme, j'en ai trouvé deux que je veux te mentionner spécialem[en]t [il évoque la situation de deux émigrés des Antilles et précise :] Les malheureux ont fui le déshonneur & la persécution, ils ont refusé de porter cette cocarde mi-angloise, et de prendre part à la capitualtion où on a stipulé que les off[icie]rs & ad[ministrateu]rs français retoureneroient en France à la disposition de Lord Wellington – plusieurs off[icie]rs & soldats décorés de la Légion se sont dérobés par une mort volontaire à ces honteuses stipulations... » 85

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