6 PARIS : BIRTHPLACE OF THE U.S.A. Le n° 41 du quai des Grands-Augustins, où eut lieu ma rencontre avec Daniel Jouve, s'avère un lieu prédestiné. Ce fut, dans la première moitié du xxe siècle, la propriété de Ch. Chadenat, le célèbre libraire américaniste et collectionneur de voyages évoqué par Blaise Cendrars dans Bourlinguer. Mais surtout, cet endroit du « quai des bouquins » comme l'appelait Diderot, abritait déjà à la fin du xVIIIe siècle une librairie à l'enseigne des Neuf Muses, alors spécialisée dans les livres de marine et de voyages. Le futur président américain Thomas Jefferson, bibliophile convaincu et alors ambassadeur à Paris, y acquit un certain nombre d'ouvrages qui rejoignirent ensuite la Bibliothèque du Congrès à Washington. C'est Daniel Jouve qui m'amena à cette surprenante découverte. Alors qu'il rédigeait son ouvrage Paris : Birthplace of the U.S.A. – A Walking Guide for the American Patriot, en collaboration avec son épouse Alice et avec Alvin Grossman (Paris, Gründ, 1995, 4e édition 2006), il pénétra pour la première fois dans ma librairie, au n° 41 du quai des Grands-Augustins, et me demanda avec émotion et délectation s'il pouvait s'y asseoir et respirer l'air d'un endroit où Thomas Jefferson venait acheter des livres. Daniel Jouve savait cela pour avoir consulté lui-même ses factures d'achats conservées à la Bibliothèque du Congrès – parmi lesquelles plusieurs portaient l'en-tête de la librairie Les Neuf Muses. Grande fut ma surprise, puisque j'avais choisi ce même intitulé pour de toutes autres raisons et dans l'ignorance de ce fait. Je trouvai alors pour ma part confirmation de l'existence de cette librairie parisienne du siècle des Lumières après une rapide vérification dans la célèbre collection de factures et d'enseignes de Roxane Debuisson. Hormis les délices de la sérendipité, Daniel Jouve vouait une inaltérable passion aux livres et documents, avec une prédilection pour l'histoire commune de la France et des États-Unis. Sa démarche bibliophilique prolongeait avec bonheur son engagement personnel auprès d'une épouse américaine, et illustrait sur le plan de la recherche savante le sentiment sincère d'une communauté de destin entre leurs deux nations. Parmi les livres anciens qu'il avait réunis, se retrouvent des textes cardinaux comme les Constitutions particulières des treize États fondateurs, la Constitution fédérale de 1787, ou le manuel du droit parlementaire de Jefferson, mais aussi de grandes œuvres théoriques et polémiques ayant structuré la réflexion politique française et américaine autour du régime démocratique des États-Unis – avec dialogues de part et d'autre de l'Atlantique –, par Adams, Franklin, Jefferson, Mazzei ou Stevens, d'un côté, et Brissot, Condorcet, Conseil, Dupont de Nemours, La Fayette, Mably ou Raynal, de l'autre. Des hommages réciproques, comme les éloges de La Fayette par Adams, de Franklin par Fauchet et Mirabeau, ou de Washington par Henry Lee, mêlent par ailleurs la reconnaissance officielle aux admirations personnelles. Figurent également en bonne place des histoires, mémoires et correspondances sur la guerre d'Indépendance des États-Unis ou la cession de la Louisiane, par Barbé-Marbois, Hilliard d'Auberteuil (dans l'exemplaire d'un vétéran français du siège de Yorktown), Jefferson, La Fayette ou Morris. Ne manquent pas non plus d'éclairants récits de voyages français et anglais ou autres monographies concernant les États-Unis, parus principalement dans les années 1770 à 1850, dont des livres de Chastellux, Montlezun, Crèvecœur, ou le rare Champ-d'asilede L'Héritier. Enfin, Daniel Jouve avait rassemblé un vaste fonds documentaire moderne explorant tous les aspects des liens entre la France et les États-Unis. Puissent les livres de cette passionnante bibliothèque franco-américaine continuer de bourlinguer aux quatre vents de France et d'Amérique ! Alain NICOLAS Librairie Les Neuf Muses
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