Lorsque, avec mes deux frères, nous avons décidé de disperser ta bibliothèque, nous nous demandions si nous ne reniions pas ta mémoire. Tes livres, tu les aimais un peu à la façon de tes petits-enfants. Nous nous souvenions de la brillance de tes yeux lorsque tu parlais de tes descendants de papiers. Mais nous voulions que cette collection extraordinaire qui avait occupé une bonne partie de ta vie et la majorité de tes occupations, soit connue du monde des bibliophiles. Que ton nom soit dorénavant attaché à l’amour des livres d’exception, au goût du beau, aux beaux objets, aux belles lettres, aux belles intelligences. La rencontre avec nos amis experts, Emmanuel Lhermitte et Philippine de Sailly, a achevé de nous convaincre. En eux, nous avions trouvé le prince charmant qui réveilla tes livres aux bois dormants ! Ta collection qui s’était endormie dans la bibliothèque familiale a reçu ce baiser tant attendu qui lui redonna vie ! Tant il est vrai, mais tu le sais si bien, qu’un livre assoupi dans une bibliothèque est un livre qui n’attire plus l’intérêt, un livre au cœur éteint et sans utilité. Emmanuel et Philippine ont merveilleusement redessiné leur cartographie intime et savante. Nous découvrions des auteurs de génie -peu reconnus- des histoires d’hommes, des amours inassouvies… le cœur de tes livres palpitait à nouveau. Toute cette érudition que tu n’as pas eu le temps de nous transmettre nous a été donnée par deux amoureux de beaux livres. Aux questions que nous nous posions : Le monde des amateurs répondra-t-il présent à ton rendez-vous ? Tes intuitions, tes choix, tes convictions seront-ils partagés par notre temps ? Les livres d’exception attirentils encore des hommes d’exception, les « honnêtes hommes » de notre temps ? La première vente y répondit comme à une première bataille et tel un chef d’orchestre expérimenté, notre commissairepriseur lui donna une belle harmonie. Nous avons pu le constater avec une véritable joie, ton amour avait passé les générations. Tes livres reprenaient vie dans de nouvelles mains, les yeux commençaient à se dessiller, les sourires marquaient d’autres lèvres… pour toi une jolie victoire ! Aujourd’hui nous abordons la seconde vente avec la certitude que notre choix a été le bon et que, de là-haut, tu nous regardes avec ton sourire bienveillant sous ta moustache grise. Tes livres, comme de grands bateaux blancs, ont hissé leurs voiles de papier pour gagner de nouveaux ports, de nouvelles destinations, de nouveaux rêves… si proches des tiens. Nous t’embrassons tendrement grand-père. Philippe Bourdel petit-fils de Jean Bourdel et frère de Louis-Jean et Christophe Bourdel La première partie de la bibliothèque Jean Bourdel, consacrée à la littérature française du XVIe siècle, fut dispersée le 19 juin 2024. Les 165 lots qui y figurent avaient non seulement, et bien légitimement, suscité l’enthousiasme des collectionneurs et amateurs, mais avaient également entrainé une question récurrente : les seconde et troisième parties de la bibliothèque seraient-elles d’une qualité équivalente ? Les ouvrages y seraient-ils aussi précieux et choisis, et de provenances aussi prestigieuses ? Il n’y a qu’à feuilleter ce deuxième catalogue pour s’en persuader. C’est précisément le choix que nous avons fait : ne pas dénaturer la collection constituée par Jean Bourdel et que chacune des trois ventes reflète à la fois les trois axes de sa bibliothèque (impressions gothiques en français, poètes et prosateurs), mais également sa qualité. On trouvera donc dans cette seconde partie, comme ce fut le cas dans la première, des ouvrages majeurs de la littérature et de la typographie françaises du XVIe siècle. Pour les impressions gothiques en français, nous continuons à suivre rigoureusement l’ordre alphabétique suivant la logique bibliographique que nous avons adoptée, et nous présentons ici les ouvrages référencés de la lettre F à la lettre L. Outre une rare réunion de huit ouvrages différents de Pierre Gringore, figure centrale du théâtre populaire de l’époque, on y trouvera deux éditions du Roman de la Rose de Lorris et Meung, le Champion des Dames de Martin Franc ainsi que des œuvres d’une savoureuse irrévérence qui illustrent parfaitement le débat connu sous le nom de « Querelle des femmes » : les Quinze joÿes de mariage, la Grand patience des femmes contre leurs maris, la Quenolle spirituelle de Jehan de Lacu, le Grant triumphe et honneur des dames et bourgeoises de Paris ou encore deux éditions de la Louenge et beaulte des dames. Ces ouvrages voisinent aisément avec les récits merveilleux des héros légendaires et mythologiques dont est truffé l’imaginaire collectif du début du XVIe siècle. On suivra donc ici, parmi d’autres, les aventures de la fée Mélusine, celles de son fils Geoffroy à la grande dent, de Lancelot du Lac, de Gyron le Courtois, des chevaliers Guillaume de Palerme et Guy de Warvich, des quatre fils Aymon, des héros troyens et d’Helayne de Constantinople... Quant à la poésie, si l’on y trouve encore logiquement les grandes figures littéraires qui ont traversé les siècles tels les poètes de la Pléiade réunie autour de Ronsard, elles voisinent avec d’autres gloires de la rime française des XVe et XVIe siècles. Ainsi Villon côtoie-t-il notamment Des Périers, Magny, Régnier, Scève et Vauquelin de La Fresnaye, mais également des poètes que la postérité jalouse a peu ou pas retenus et dont les noms nous sont moins familiers : Beaujeu, Buttet, Cornu, Des Roches, Forcadel, Guy de Tours, La Perrière, Saluste Du Bartas… Réunis ici, tous ces auteurs sont le témoignage de l’effervescence poétique du XVIe siècle et d’une littérature en partie façonnée par les troubles politiques et les guerres de Religion. Enfin la troisième partie, consacrée aux prosateurs, est ici placée sous la figure truculente de Rabelais dont on trouvera, entre autres, l’édition originale complète du Quart livre ainsi que les très rares éditions collectives des Œuvres, de 1553 et 1556. Elles y côtoient les grands mémorialistes du XVIe siècle, tels Commines, Goulart, La Marche et Monluc. En parallèle de la verve burlesque rabelaisienne et du sérieux des mémoires historiques, citons enfin le mythique Champfleury de Tory qui immortalise les recherches de l’époque sur la typographie, recherches également illustrées à merveille par plusieurs ouvrages imprimés en caractères de civilité. Enfin, quant aux traductions en français d’auteurs et historiens grecs et latins comme Héliodore, Homère, Platon, Plutarque, Thucydide et Xénophon, elles témoignent du goût de la Renaissance pour la culture antique. Il serait trop long de les citer tous. Nous ne pouvons que vous inviter, pour comprendre mieux la finesse du goût de Jean Bourdel, à vous plonger dans cette seconde partie. P.S. AVANT-PROPOS Lettre à Jean Bourdel, mon grand-père Jean Bourdel (1980 – 1971) D.R.
RkJQdWJsaXNoZXIy NjUxNw==