2 Autour de Don Quichotte Gros & Delettrez Le nom de don Quichotte est connu dans le monde entier, mais, dans la mémoire collective, un seul épisode subsiste généralement de son histoire, le combat contre les moulins à vente. Plus qu’à la somme de ses aventures, qui ne sont pas toutes marquées du sceau de la folie, l’ingénieux hildago semble devoir aujourd’hui se renommée à sa maigre silhouette : popularisée par Picasso, elle lui confère une apparence physique aussitôt reconnaissable. Mais en a-t-il été toujours ainsi ? De fait, les quatre siècles qui nous séparent désormais de sa naissance dessinent une trajectoire qui, si elle manifeste la vitalité de ce personnage, nous montre également qu’il n’a pas été compris de la même façon selon les époques. C’est pourquoi je me propose de vous parles des métamorphoses de Don Quichotte ; métamorphoses d’une figure ambigüe, à la fois sublime et dérisoire, qui est devenue pour nous une figure mythique. A en croire le prologue de la première partie du romain, parue en 1605, Don Quichotte ne serait qu’ »une invective contre les livres de chevalerie », visant à « ruiner l’autorité et le crédit » qu’ils ont acquis « dans le monde et parmi le vulgaire ». Si l’on s’en tient pour l’instant à ce dessein avoué, on comprend d’autant mieux ce que recommande au narrateur l’ami venu lui rendre visite : « Tâchez […] qu’en lisant votre histoire, le mélancolique s’esclaffe [et] le rieur le soit plus encore… ». Or ce rire, posé d’emblée comme le but essentiel à atteindre, a précisément don Quichotte comme source première et instrument principal. A partir du moment où ses lectures lui font perdre le jugement, sa décision de se faire chevalier errant l’incite à une transformation dont chaque étape est un épisode comique : depuis la remise en état « des armes qui avaient été à ses bisaieux », « pleines de rouille et couvertes de moisissure », jusqu’au choix d’une dame dont la patronyme musical – Dulcinée- se trouve associé au modeste bourg du Toboso, berceau d’une Aldonza Lorenzo dont notre chevalier avait été un temps épris, « encore que, comme on le pense, jamais elle ne le sût ni ne s’en avisât ». C’est dans ces conditions que donc Quichotte, un beau matin, se lance sur les chemins de la Manche… Jean Canavaggio (†) Traducteur de Don Quichotte dans la bibliothèque La Pléiade Ces propos de Jean Canavaggio (extraits d’une conférence prononcée au Grand Palais le dimanche 24 avril 2016) illustrent parfaitement la collection réunie par Monsieur R.C. Cet ensemble met, aussi, l’accent sur les Métamorphoses de Don Quichotte, ici, en tant que LIVRE, véritable entité, occultant souvent le nom même de son auteur !
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