AUCTIONART - MANUSCRITS RARES

40 f. 20, Vierge à l’Enfant dans un encadrement serti de pierres précieuses et de perles. Cette belle enluminure, attribuable pour l’essentiel à Jean Colombe, représente un petit tableau de dévotion, (ou un pendentif ?) suspendu par un anneau et un crochet, inscrit dans un encadrement au riche et élégant décor de pierreries et de perles. Elle est reproduite en noir et blanc dans Avril et alia, Jean Fouquet (2003), p. 129 (ill. 2). Elle reprend sans conteste certains aspects de la Vierge entourée d’anges, volet droit du Diptyque de Melun, peint par Fouquet vers 1452-1455 (Anvers, Koninklijk Museum voor Schone Kunsten, Inv. 132 ; Avril, 2003, cat. 7), commande d’Etienne Chevalier, trésorier de France et dont le modèle serait inspiré d’Agnès Sorel, maîtresse du roi Charles VII. Le petit tableau votif peint dans les Heures Bureau figure une Vierge au teint pâle et blanc, les paupières lourdes et le regard baissé, rappelant la Vierge de Fouquet du Diptyque de Melun. Plus semblable encore dans la miniature des Heures Bureau reste le traitement de l’Enfant Jésus, au point où l’on peut se demander s’il n’y a pas l’intervention d’un artiste fouquetien pour le réaliser. Le traitement très fin des pierres précieuses et perles logées dans le cadre n’est pas sans rappeler la virtuosité de Fouquet lorsqu’il reproduit les pierres précieuses et perles dans la couronne de la Vierge du Diptyque de Melun. Le geste de l’Enfant, pointant son doigt vers la gauche, comme l’Enfant du Diptyque de Melun pointant vers le panneau qui figure Etienne Chevalier présenté par son saint patron, pourrait suggérer qu’il était prévu d’insérer face à cette miniature un portrait de commanditaire. D’ailleurs le feuillet qui précède la Vierge à l’Enfant dans les Heures Bureau est resté blanc et devait peut-être accueillir un portrait permettant de former un diptyque, comme dans les Heures de Louis de Laval, où la Vierge à l’Enfant est placée sur le feuillet de gauche (fol. 50v) et le portrait de Louis de Laval, commanditaire sur le feuillet de droite (fol. 51), avec le bras de l’Enfant tendu en direction du commanditaire (Heures de Louis de Laval, Paris, BnF, latin 920, ff. 50v-51). Sur la dette de Colombe envers Fouquet et la Vierge à l’Enfant du Diptyque de Melun, citons F. Avril et al. (2003) : « C’est encore à Colombe qu’on doit la preuve qu’il devait exister à l’époque de petits tableaux de dévotion sur le thème de la Vierge à l’Enfant empruntant certains détails, voire l’ensemble de leur composition, à un modèle créé par Fouquet : par exemple, une des miniatures des Heures Bureau, autrefois dans la collection Loncle, nous montre une Vierge à l’Enfant à mi-corps sertie dans un cadre d’orfèvrerie lui-même suspendu à un crochet en trompe l’œil. Plusieurs éléments mettent en rapport cette miniature avec la Vierge d’Etienne Chevalier : la forme ovoïde et l’inclinaison légère de la tête de la Vierge – celle-ci est tournée non vers son fils mais vers un dévot, absent du manuscrit, qui devait figurer, sur un pendant, dans le diptyque original ayant inspiré cette miniature. Mais c’est surtout l’Enfant qui prouve le lien de celle-ci avec Fouquet : bien que déformé et enlaidi, ce bambin potelé reprend tous les détails caractéristiques de l’Enfant Jésus anversois, repli sous le cou et position des mains, celle de droite appuyée sur la cuisse, l’autre pointée comme à Anvers en direction d’un orant imaginaire » (Avril et al., 2003, pp. 129-130). On consultera la contribution « Fouquet portraitiste » par Dominique Thiébaut, in Avril et al., 2003, pp. 29-37. La Vierge des Heures Bureau peut aussi être rapprochée de deux autres compositions d’œuvres peintes par Colombe à savoir la Vierge à l’Enfant peinte en diptyque face au commanditaire Louis de Laval (Heures de Louis de Laval, Paris BnF, latin 920, fol. 50v) et une autre Vierge à l’Enfant peinte dans le même livre d’heures (fol. 44v). Si dans les Heures de Louis de Laval les compositions sont pour l’essentiel de Colombe, il a été avancé que la réalisation de certaines têtes et certainement de l’Enfant Jésus, aurait été confiée à un artiste fouquetien, « enlumineur de plus haute volée, héritier de l’art et du talent de Jean Fouquet » (voir Avril et Reynaud, 1993, p. 329 ; voir aussi F. Avril, 2003, pp. 390-391 ; S. Gras, « Jean Fouquet et le Maître des visages du Christ dans les Heures de Louis de Laval », in Peindre à Angers et à Tours (2023), pp. 101-115 : Gras propose de voir une date plus ancienne pour la réalisation des Heures de Louis de Laval, avant la nomination de Louis de Laval au sein de l’Ordre de Saint-Michel créé en 1469. L’encadrement illusionniste de la Vierge à l’Enfant rappelle de très près un encadrement semblable à pierreries incrustées dans un cadre « d’orfèvrerie feinte » dans lequel s’inscrit Le Christ devant Pilate (Paris, Musée du Louvre, Cabinet des dessins, RF 54717 ; Les Enluminures du Louvre, 2011, cat. 96). Cette miniature est à rattacher aux œuvres du jeune Colombe, « un peu avant les Heures Bureau de l’ancienne collection Loncle – dont une des peintures présente exactement le même cadre orfévré que la miniature analysée ici… » f. 20, Vierge à l’Enfant dans un encadrement serti de pierres précieuses et de perles. 41

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