AUCTIONART - MANUSCRITS RARES

36 37 Le Salvator Mundi des Heures Bureau parait bien d’une main autre que les mains fouquetiennes responsables des « Visages du Christ » dans les Heures de Louis de Laval ou encore la Sainte Face des Heures dites d’Anne de Beaujeu, dame de Baudricourt ou Heures de Jeanne de Bueil, « assez surprenant par sa facture toute pointillée » (Avril et Reynaud, 1993, p. 148 ; Paris, BnF, NAL 3187, fol. 13 bis ; attribuée désormais au Maître du Boccace de Münich (artiste fouquetien), voir Avril et al., 2003, cat. 35). Il semble néanmoins que la miniature du Salvator Mundi des Heures Bureau s’inspire bien de ces portraits du Christ ou Saintes Faces fouquetiennes, cherchant à imiter dans ces modèles la forme des yeux, le traitement des mains avec les ongles soulignés de noir, le traitement des cheveux. L’artiste fouquetien dit « faiseur de têtes » (Avril et al., 2003, p. 390) des Heures de Louis de Laval fut récemment renommé par S. Gras « Maître des visages du Christ dans les Heures de Louis de Laval » (S. Gras, « Jean Fouquet et le Maître des visages du Christ dans les Heures de Louis de Laval », in Peindre à Angers et à Tours (2023), pp. 101-115). Sur l’interprétation du chiffre N et E reliés par une cordelière, voir supra p. 20. On rappellera que dans des manuscrits peints par Colombe et son entourage on trouve fréquemment des encadrements ou tentures dotées d’initiales et monogrammes (pas toujours élucidés), par exemple dans les Heures de Louis de Laval dans lesquelles on trouve des semés d’initiales R et E liés par une cordelière (fol. 50, mais cette miniature est plutôt donnée au premier peintre fouquetien qui participe à la première campagne d’enluminure). Ce monogramme R et E lié par une cordelière se retrouve aussi sur la tenture qui recouvre le trône au fol. 173 et sur l’armure de poitrine des soldats imprimée du monogramme V et E relié par une cordelière (Heures de Laval, fol. 162v et 166). f. 10v, Messe de saint Grégoire. – Miniature inscrite dans un encadrement simple à l’imitation d’un cadre en bois (voir reproduction p.18) Cette miniature est placée de manière atypique au commencement du manuscrit, face au début des Péricopes évangéliques illustrés tout à fait normalement par un saint Jean sur l’ile de Patmos. Ce placement n’est pas anodin. On rappellera que l’on trouve du texte et une réglure au recto du feuillet qui contient la miniature de la Messe de saint Grégoire, et donc il ne s’agit pas d’un singleton inséré. Néanmoins les textes précédant cette miniature (prières Stabat mater… (ff. 2v-4) et Dulcissime domine Ihesu Christe… (ff. 5-10) sont aussi insérés immédiatement après le calendrier, ce qui est aussi atypique : on les attendrait plus loin dans le manuscrit avec les textes dits « ancillaires », avant les Suffrages. De même, le texte classique « O domine Ihesu Christe adoro te… » précédé de la miniature de la Messe de saint Grégoire se trouvent habituellement dans les livres d’heures plutôt vers la fin du manuscrit, après les Psaumes de la Pénitence. Il semble bien que le commanditaire ait demandé expressément que la miniature de la Messe de saint Grégoire soit placée en regard de celle de saint Jean l’Evangéliste sur Patmos, sacrifiant le texte qui l’accompagnait dans son cahier. Ce n’est pas un manque ou un oubli mais plutôt un parti-pris iconographique dans lequel le commanditaire (Jean Bureau tenant le livre relié en bleu, regard tourné vers le lecteur ?) serait de nouveau mis en scène face à l’un de ses saints patrons, Jean l’Evangéliste. Il nous semble aussi important de souligner que parmi les trois prélats tonsurés, deux sont placés de part et d’autre du personnage central figurant saint Grégoire le Grand, pape, mains jointes devant l’autel et l’apparition du Christ et des instruments de sa Passion. Les deux cardinaux sur la droite tiennent la tiare pontificale. Parmi les deux autres clercs tonsurés en riches habits ecclésiastiques, signalons l’un d’entre eux qui, de manière inhabituelle, tient un livre doté d’une reliure bleue avec cabochons et dont le visage est peint avec un réalisme qui suggère le portrait d’un contemporain : peut-être s’agit-il du commanditaire (Jean Bureau ?) qui s’est inscrit dans la scène de la Messe de saint Grégoire ? Il nous semble possible que les têtes du pape et du clerc tenant le livre (Jean Bureau fils ?) aient été réalisés par un artiste fouquetien : elles sont plus personnalisées et soignées. Parmi les œuvres attribuées à Jean Colombe, on signalera la Messe de saint Grégoire peinte dans les Heures conservées à la Pierpont Morgan Library, M. 248, fol. 118, offrant une composition présentant certaines similitudes, notamment au niveau du traitement des dalmatiques des clercs. De même, Colombe reprend dans les Heures de Laval (Paris, BnF, latin 920, fol. 294) une composition semblable mais plus classique, sans l’un des clercs tenant un livre, et traditionnellement placée en fin de volume. f. 11, Évangéliste saint Jean sur l’île de Patmos avec son symbole l’aigle. – Miniature inscrite dans un encadrement architecturé doré composé de pilastres, pinacles surmontés de sculptures, niches avec sculptures colorées et au bas de l’encadrement en lettres capitales les mots « INICIO SANCTI EVVENGELI SECUNDUM IOHANNEM », annonçant le péricope évangélique selon saint Jean (voir miniature à pleine page, p.19). Cette belle enluminure est toute imprégnée de la poésie et minutie des miniatures de Jean Fouquet, rappelant par certains aspects le saint Jean l’Évangéliste à Patmos des Heures d’Etienne Chevalier (Chantilly, Musée Condé, voir Avril et al., 2003, cat. 24.1) et aussi le style de suiveurs fouquetiens tel le Maître du Boccace de Munich. Le traitement de cette scène doit être mis en parallèle avec la miniature figurant saint Jean l’Évangéliste dans les Heures à l’usage de Rome dites « Heures de Marie Stuart » (Washington, Coll. Particulière ; voir Avril, et al. 2003, cat. 56, reproduction p. 403), ellemême copiée d’une enluminure des Heures d’Antoine Raguier (?) et de Jean Robertet attribuée à Fouquet (New York, Pierpont Morgan Library, M. 834, fol. 13 ; voir Avril, 2003, cat. 28 et reproduction p. 254). La scène peinte dans les présentes Heures Bureau présente de la même manière un ilot avec un superbe arbre (comme chez Fouquet), un cours d’eau et des berges qui se ressemblent en tous points (château au loin, maison, barque de pêcheur). Colombe a pu voir cette composition fouquetienne dans les Heures de Raguier (?)-Robertet qu’il achève pour le second possesseur Jean Robertet, probablement en 1468-1469, lorsque le manuscrit change de propriétaire et que Robertet était encore fixé en Bourbonnais au service des Bourbons, avant d’entrer au service du roi en 1469. L’encadrement n’est pas sans rappeler ceux des grandes miniatures des Heures de Guyot Le Peley, peintes vers 1475-1480, en particulier les structures dorées avec des sculptures en grisaille ou peintes en couleur qui peuplent les niches des colonnades ou pinacles (citons dans les Heures de Guyot Le Peley, Troyes, Médiathèque, MS. 3901, les encadrements de la Visitation (fol. 60), de l’Annonce aux bergers (fol. 74) ou encore les sculptures en pied dominant les pinacles de l’encadrement du diptyque de l’Annonciation (ff. 42v-43)).

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