AUCTIONART - MANUSCRITS RARES

16 17 Un second groupe d’enluminures se détache, avec des paysages parfois encore très fouquetiens mais où le style de Colombe s’impose et les encadrements architecturés sont de plus en plus élaborés, datables vers 1470 et peu après, réalisés de manière quasi concomitante avec la première campagne des Heures de Louis de Laval (?). De plus amples recherches permettra peut-être de distinguer aussi dans certaines miniature de cette série la participation d’un peintre fouquetien en collaboration avec Jean Colombe. Il s’agit de dix-sept miniatures : la Déploration du Christ devant la Croix (ou Lamentation) (f. 2), l’Annonce aux bergers (f. 69), la Présentation au Temple (f. 74), l’Adoration des mages (f. 79), la Fuite en Egypte (f. 84), le Couronnement de la Vierge (f. 94), Jésus au jardin des oliviers (f. 119), la Pentecôte (f. 127), la Tentation de saint Antoine (f. 202), sainte Anne et la Vierge (f. 203v), les Trois Marie (Trois sœurs : Marie mère de Jésus, Marie de Cléophas, Marie-Madeleine) (f. 205), sainte Agathe lisant (f. 212), le Martyre de sainte Apolline (f. 213v) et sainte Marguerite issant du dragon (f. 215). On rajoute à cette liste de miniatures aux riches encadrements dorés/cuivrés le saint Claude bénissant (f. 194) même s’il nous semble que la tête a pu être peinte par un artiste fouquetien intervenant ponctuellement dans une miniature par ailleurs de facture colombienne. De même dans cette seconde campagne, il faut inclure, nous semble-t-il, le Salvator Mundi bénissant qui imite des modèles fouquetiens mais qui reste de facture plus modeste, peut-être par un autre peintre ou par un collaborateur de Colombe (f. 4v). Enfin, sans doute relevant de cette seconde campagne à plus proprement parler « colombienne », on classe aussi la Scène de mariage devant le parvis d’une Eglise (f. 216), au vu des architectures gothiques, des colonnades et statuettes dans les niches même si celle-ci évoque par certains côtés une esthétique angevine. Une troisième série correspond aux six enluminures inscrites dans des encadrements simples composés de baguettes dorées imitant des cadres en bois, réalisées sans doute un peu plus tard (vers 1475 ?): Jugement dernier (f. 1), Messe de saint Grégoire (f. 10v), le Martyre de saint Sébastien (f. 192v), saint Christophe et l’Enfant Jésus (f. 197). Si la première miniature (Jugement dernier) est effectivement une addition au manuscrit (un feuillet singleton inséré, sans doute une commande particulière du commanditaire), la Messe de saint Grégoire semble avoir été prévue dès le départ dans les cahiers qui devaient composer le manuscrit (on trouve de l’écriture au recto du feuillet qui contient la miniature) mais fut déplacée à dessein pour former une sorte de diptyque d’ouverture face au saint Jean l’Evangéliste sur Patmos et le texte que la Messe de saint Grégoire devait introduire n’a pas été retenu. On peut joindre à ce troisième ensemble la Vierge à l’Enfant (f. 20) même si elle est dotée d’un encadrement orfévré et la sainte Catherine lisant (f. 208v), prévues dans le programme d’enluminure mais sans doute réalisées un peu après. Ces deux miniatures pourraient avoir bénéficié de la participation d’un artiste fouquetien pour l’Enfant et pour la superbe tête de sainte Catherine. Datables de la toute fin des années 1460 et du début des années 1470, les Heures Bureau, peintes par le jeune Colombe encore fortement imprégné de modèles angevins mais désormais copiant les modèles tourangeaux de Fouquet, peut-être avec la participation d’un artiste fouquetien pour certaines miniatures, constituent sans conteste un témoin important pour l’étude de « la question des années de formation de l’enlumineur berrichon, dont le destin voulut qu’il fut confronté aux œuvres des meilleurs artistes de son temps, Jean Fouquet, Barthélemy d’Eyck et peut-être André d’Ypres et Colin d’Amiens » (Avril, in Les Enluminures du Louvre, 2011, p. 194). C’est une redécouverte dont nous pouvons tous nous réjouir. f. 74, Présentation au Temple f. 197, Saint Christophe et l'Enfant Jésus A la recherche du premier commanditaire des Heures Bureau Dès 1993, François Avril avait signalé que les armoiries peintes à trois reprises dans ces Heures n’étaient pas celles de la famille Commynes et ne pouvaient donc pas commémorer le mariage entre Philippe de Commynes et Hélène de Jambes (voir Avril, 1993, p. 326). Il s’agit plutôt des armoiries d’un membre de la famille Bureau, importante famille de serviteurs d’État, investie dans la finance, l’artillerie et le service du roi, notamment sous Charles VII et Louis XI. La branche concernée est celle de Simon Bureau l’aîné (mort en 1438), bourgeois de Paris, natif de Semoine (Aube), en Champagne. Parmi les membres de la famille Bureau issue de la progéniture de Simon Bureau l’aîné, on citera Jean (13901463), Hugues Bureau (mort en 1464) et Gaspard (mort en 1469). L’aîné, Jean Bureau (1390-1463), fut Grand Maître de l’Artillerie sous Charles VII (en 1439), capitaine de la ville et du marché de Meaux, vainqueur de la bataille de Castillon (1453) contre les troupes anglaises dirigées par John Talbot. Il fut seigneur de Monglat (près de Rozay-en-Brie), La Houssaye-en-Brie, Fontenay-en-France, Thieux et Noisy-LeSec, Marle et La Malmaison, ainsi que propriétaire de l’Hôtel des Porcherons à Paris. Gaspard Bureau (mort en 1469), fut Grand Maître de l’Artillerie en 1444 puis capitaine du château du Louvre (1463). Seigneur de Montfermeil, de Nogent-sur-Marne, de Villemomble et d’autres lieux, Gaspard Bureau œuvra aussi comme balisticien. Enfin Hugues Bureau (mort en 1467) fut Audiencier au Châtelet de Paris, Receveur ordinaire des Domaines et Voyer de la Ville de Paris (1441-1464), seigneur de Forfry, Verneuil et Saint-Soupplets (Seine-et-Marne, arrondissement de Meaux). Nommé Trésorier général de France, Jean Bureau père sera anobli à Bourges en 1447. Il épouse Jeanne Hesselin (morte en 1428) puis Germaine Hesselin (vers 1410-1494), dame d’honneur de la reine Marie d’Anjou (voir La Chesnaye des Bois (1866), tome X, col. 621). Lors du sacre de Louis XI en 1461, Jean Bureau est fait chevalier et membre du Conseil du roi. On notera qu’il sera commissionnaire lors du procès du Grand Argentier Jacques Cœur (anobli pour sa part, ainsi que ses descendants, en 1441) qui se tint entre 1451-1452. Jean Bureau fera partie, comme Jacques Cœur, Etienne Chevalier, ou encore plus tard Laurens Girard, des proches conseillers d’origine roturière qui entourent Charles VII dans les années 1440-1460 (voir Pierre Clément, Jacques Cœur et Charles VII, ou La France au XVe siècle, Paris, 1853). La postérité reconnait aux frères Bureau d’avoir permis des avancées techniques en matière de technologie militaire : « En France, la guerre de l’Indépendance contre les Anglais avait réveillé le génie guerrier de la nation, et, non-seulement l’héroïque Jeanne d’Arc s’occupait elle-même de diriger l’artillerie ; mais deux hommes éminents sortis du peuple, les frères Bureau, apportèrent tous leurs soins à perfectionner les bouches à feu et à la conduite des sièges… » (Louis-Napoléon Bonaparte, Études sur le passé et l’avenir de l’artillerie, tome II, 1851). Sur les frères Bureau, voir Père Anselme, Histoire généalogique de la Maison Royale de France (1712), tome II, p. 1065-1068 ; La Chesnaye Des Bois (1863), tome 3, col. 507 ; Epitaphier du Vieux Paris, Tome VI, Les Saints-Innocents, n° 2734, p. 87. Jean Bureau meurt en 1463 : il est enterré à Paris, Église de Saint-Jacques de la Boucherie. On connait un portrait de Jean Bureau père par une gravure réalisée au XVIIe siècle par Jacques Grignon (dit le vieux) (vers 1640-vers 1698) (Musée Carnavalet). Pendant le lit de justice de Vendôme, réuni pour juger le duc d’Alençon en 1458, Jean Bureau père est assis non loin d’Etienne Chevalier, autre trésorier et grand commis du roi de France (voir la miniature peinte par Jean Fouquet dans le manuscrit Des cas des nobles hommes et femmes de Boccace, Münich, BSB, Cod. Gall. 6, f. 2v ; pour le positionnement des siégeants, voir Paris, BnF, fr. 5942, Chronique anonyme d’Alençon, fol. 104 : « Item en ung aultre banc au costé desdits seigneurs… Maistre Jehan Bureau tresorier de France…Maistre Estienne Chevallier… »). Jean Bureau père (mort en 1463) a plusieurs enfants dont Jean Bureau fils (mort en 1490), seigneur de Montglat, d’Ezanville, de la Houssaye-en-Brie et La Malmaison. Clerc, Jean Bureau sera abbé de la Sainte-Trinité (Morigny) et surtout évêque de Béziers (1457-1490) et sera inhumé à Paris au Couvent des Célestins. On conserve une copie de son testament dans la Collection Godefroy conservée à la Bibliothèque de l’Institut (voir L. Lalanne, « Inventaire des pièces manuscrites de la Collection Godefroy (suite) », in Annuaire-Bulletin de la Société de l’Histoire de France, vol. 4, no. 2 (1866), p. 17 : « Testament de Jean Bureau (1490)). Son frère Pierre III Bureau (mort en 1492 ?) est Trésorier de France et capitaine de la ville et marché de Meaux et le calendrier des présentes Heures reflète les attaches meldoises de la famille. f. 10v, Messe de saint Grégoire, détail.

RkJQdWJsaXNoZXIy NjUxNw==