AUCTIONART - MANUSCRITS RARES

14 On s’accorde généralement maintenant à dire qu’il existe une production du peintre Jean Colombe avant sa rencontre décisive avec l’art de Jean Fouquet, sous l’influence d’Angers et de Barthélémy Van Eyck (Avril et Reynaud, 1993, p. 326 ; Avril et al., 2003, p. 390). Toutefois, les Heures Bureau ont certainement été commencées après la rencontre avec la peinture de Fouquet et l’esthétique tourangelle, puisque Colombe reprend quasi littéralement dans les Heures Bureau les compositions fouquetiennes des Heures dites d’Antoine Raguier (?) et de Jean Robertet (New York, Pierpont Morgan Library, MS M. 834, réalisées en deux campagnes d’enluminure, pour Antoine Raguier (hypothèse de C. Schaefer), trésorier des guerres de Charles VII par Jean Fouquet puis achevées pour Jean Robertet, qui est au service des ducs de Bourbon, puis du roi Louis XI). Nous savons que Colombe est responsable de la deuxième campagne d’enluminure des Heures Raguier (?)-Robertet, commencées à Tours par Jean Fouquet vers 1460-1465 et terminées par Colombe à Bourges vers 1465-1470 (ou sur place à Angers ou Tours ? Rappelons que dans le catalogue Les Enluminures du Louvre, Jean Colombe est donné comme « Enlumineur itinérant établi à Bourges » (p. 192) ; Avril et al., 2003, cat. 28). En ce qui concerne la première campagne d’enluminure (datable circa 1468-1470 ?), les Heures Bureau sont certainement un peu antérieures aux célèbres Heures de Louis de Laval (Paris, BnF, latin 920) peintes pour Louis de Laval, seigneur de Châtillon. Puis lors d’une seconde campagne d’enluminure (circa 1470-1475 ?), les Heures Bureau apparaissent quasi contemporaines des Heures de Louis de Laval dans leur première version, avant les rajouts des années 1480. Réalisées pour des familles puissantes et cultivées, les Heures Bureau et les Heures de Louis de Laval (ces dernières dans leur premier état, avant la seconde campagne d’enluminure), partagent de nombreuses compositions et choix de mise en page. Parmi les œuvres à replacer dans la première partie de la production de Jean Colombe, les Heures Bureau sont intéressantes car elles témoignent des relations complexes entre le miniaturiste berruyer, Jean Fouquet et ses suiveurs ou collaborateurs. Il est possible que certaines des enluminures des Heures Bureau aient été le fruit d’une collaboration avec un artiste fouquetien : nous pensons à la Vierge à l’Enfant (fol. 20) et notamment le traitement fouquetien de l’Enfant ; à la tête de saint Claude bénissant, coiffé de sa mitre d’évêque (fol. 194) et à la superbe sainte Catherine tenant un livre ouvert aux accents clairement fouquetiens (fol. 208v). Ce recours à un artiste « faiseur de têtes » fouquetien, pour reprendre le terme de François Avril, se remarque aussi dans les Heures de Louis de Laval peintes très peu de temps après les Heures Bureau (voir Avril et al., 2003, cat. 52 et p. 390). Les trente-sept miniatures que comptent des Heures Bureau sont dans un état de conservation remarquable : elles ont conservé leurs couleurs éclatantes et la brillance de l’or généreusement apposé. De plus, ce cycle de grandes peintures est complété de 374 peintures marginales latérales, des initiales historiées d’inspiration fouquetienne en camaïeu bleu et d’or et un calendrier où miniatures enluminées alternent avec miniatures en camïeu d’or. On rappellera qu’un autre manuscrit colombien, plus tardif (vers 1475-1480), passé récemment sur le marché, les Heures de Guyot Le Peley fut acquis par la Médiathèque de Troyes en 2005 : il comportait quatorze grandes miniatures. Plus de recherches et comparaisons s’imposent, mais on distingue a priori plusieurs étapes dans l’élaboration de ce manuscrit. Pendant l’achèvement des Heures Raguier (?)-Robertet, Jean Colombe est pétri de nouvelles références fouquetiennes qu’il met à contribution dans les Heures Bureau. Mais dans ce même manuscrit on verra Jean Colombe élaborer aussi des compositions toutes « colombiennes » qui seront reprises dans plusieurs manuscrits des années 1470 et 1480 au fur et à mesure que l’artiste prend de l’assurance auprès de commanditaires de plus en plus prestigieux. Une première campagne d’enluminure reprend des modèles de Fouquet, parfois presqu’à la lettre, avec des paysages soignés, aux ciels clairs et aux architectures détaillées, datables vers 1468-1470, sans doute de manière concomitante avec l’achèvement par Colombe des Heures Raguier (?)-Robertet (vers 1465-1470). Ces quatorze miniatures sont : les quatre évangélistes (ff. 11, 13, 15, 17), l’Annonciation (f. 28), la Visitation (f. 50, bien qu’elle n’ait pas de composition équivalente dans les Heures Raguier (?)-Robertet), la Nativité (f. 62) et peut-être aussi le David et Goliath avec une scène de décapitation particulièrement sanguinaire (f. 100) et la Rencontre des trois morts et des trois vifs (f. 133) ; parmi les Suffrages, le martyre de sainte Catherine (f. 185), l’Arrestation de saint Jean-Baptiste sur ordre d’Hérode (f. 186v), le saint Michel archange terrassant le dragon avec en arrière-plan le Mont St-Michel (f. 188), les Apôtres saints Pierre et Paul et la Chute de Simon le Magicien (f. 189v) et peut-être Marie-Madeleine lisant avec en arrièreplan le sanctuaire de la Sainte-Baume en Provence (f. 207). f. 188, Saint Michel terrassant le dragon ; en arrière-plan, le Mont St-Michel. 15

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