13 12 Redécouverte des Heures Bureau, illustres et pourtant mal connues Jean Colombe à ses débuts : entre Bourges et la Vallée de la Loire ? Ce superbe manuscrit, dit « Heures Commynes », était connu des historiens de l’art et des amateurs de manuscrits richement enluminés. Tous le cherchaient un peu, mais seuls certains l’avaient vu, par exemple Jean Porcher en 1955 lorsque ce manuscrit faisait encore partie de la prestigieuse collection Loncle. C’est encore Jean Porcher qui identifie le talentueux Jean Colombe (actif 1463-1493) et ses collaborateurs comme le peintre de ces Heures, alors que par le passé elles avaient été attribuées au peintre et enlumineur majeur que fut Jean Fouquet (c. 1420-c. 1478/1481). Inclus dans la grande et prestigieuse exposition de 1955 organisée à la Bibliothèque nationale par Jean Porcher, ces Heures étaient exposées sous le numéro 327 non loin des célèbres Heures de Louis de Laval (numéro 326). Laudatif, Jean Porcher évoque les Heures de Louis de Laval et les « Heures Commynes » : « […] mais les Sibylles et certaines Vierges des Heures de Laval, qu’il a peintes évidemment seul, le portrait de Louis de Laval lui-même (no. 326) comptent parmi les œuvres maîtresses de la peinture médiévale française, et l’on peut en dire autant du livre qu’il a exécuté pour Philippe de Commines (no. 327) » (Porcher, Les manuscrits à peintures en France du XIIIe au XVIe siècle, Paris, 1955, p. 151). Plus tôt en 1914, Leo Baer était convaincu de l’origine fouquetienne de ces Heures et reconnaissait volontiers la main du maître tonrangeau dans certaines miniatures : Baer avait vu très justement qu’il y avait dans les Heures Commynes un lien avec l’art de Fouquet. C’est en 1993 que François Avril corrige l’attribution erronée des armoiries – anciennement identifiées comme celles de Philippe de Commynes – et les identifie comme étant celles de la famille Bureau, établie à Paris mais aussi en Champagne, dans la Brie et en Ile de France. Les Heures Commynes seront rebaptisées dans les travaux consacrés à l’art de l’enluminure « Heures Bureau ». Le manuscrit sera par la suite étudié d’après les seules photos et reproductions connues (Avril, Jacob, Seidel). Cette réapparition sur le marché de l’art permet enfin à cette œuvre importante d’être vue et appréciée de la communauté des chercheurs et des collectionneurs. Né à Bourges vers 1430, Jean Colombe fut un enlumineur actif entre circa 1463 et 1493. Il fut le frère aîné de Michel Colombe, important sculpteur. Il fonde à Bourges un atelier dynamique qui fournit des livres d’heures, des livres d’histoire et de chroniques et des livres de philosophie ou théologie à une clientèle diverse, en particulier de riches et puissants commis et serviteurs d’État en Berry (Jean Cœur puis Jacques II Cœur), en Touraine (Robertet, Chauvigny/Amboise) et en Champagne (les Molé, Le Peley et surtout Louis de Laval, gouverneur de Champagne, puis de Touraine), puis à des mécènes royaux et princiers tels Anne de France, Charlotte de Savoie, reine de France et Charles Ier de Savoie. On rappellera que c’est à la demande de Charles Ier de Savoie, qui le promeut enlumineur officiel en 1486, que Jean Colombe acheva deux importants manuscrits à savoir les Très Riches Heures de Jean de Berry (Chantilly, Musée Condé, MS 65) et une Apocalypse (Madrid, Bibliothèque de l’Escorial, E. Vit. 5). Plusieurs historiens de l’art se sont intéressés aux « débuts » du peintre-enlumineur Jean Colombe. Des recherches effectuées en archives par J.-Y. Ribault (commencées dès les années 1970 et publiées le plus récemment en 2001) ont donné pour les membres de la famille Colombe des lieux de vie et quelques balises chronologiques. Paul Durrieu puis Claude Schaefer se sont attachés à mieux cerner les débuts de l’artiste dans des études pionnières, suivies des recherches de Nicole Reynaud et François Avril dans les années 1990. Plus récemment, des synthèses et études plus poussées ont été menées par des historiens de l’art tels Marie Jacob, Christine Seidel et Samuel Gras, ainsi que les travaux de Marie Mazzone et Katja Airaksinen-Monier sur l’enluminure berruyère. Un petit groupe de quelques manuscrits peuvent être rassemblés autour de ces premières années de production « colombienne » que Christine Seidel verrait bien commencer sans doute un peu plus tôt que la date admise de circa 1463 (elle évoque une date de circa 1460 comme début d’activité). A la suite de Schaefer, C. Seidel rassemble un petit groupe de manuscrits liés aux débuts de Jean Colombe (peints à Bourges ou en itinérance ?) : Missel-Pontifical de Jean Cœur (New York, Pierpont Morgan Library, MS G. 49) ; Heures à l’usage de Bourges, témoin de l’influence de la peinture angevine sur Colombe (Vienne, Kunsthistorisches Museum, KHM 14642) ; Heures de Catherine de Chauvigny, enluminé avant 1464 date de son mariage avec Charles d’Amboise (Oxford, Bodleian Library, ms. lat. liturg. f. 6) (voir Seidel, 2018 : « Les Heures Chauvigny précèdent ce premier contact avec l’art de Jean Fouquet » (p. 106)) ; enfin un manuscrit daté 1464, le Bréviaire de Pierre Milet, signalé par François Avril (Berlin, Staatsbibliothek, ms. theol. Lat. qu. 6 ; voir Seidel, 2018, p. 107). f. 208v, Sainte Catherine tenant un livre ouvert.
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