AUCTIONART - LIVRES RARES

124 125 « VOUS VOUS PLAIGNEZ DU CUL DES FEMMES QUI EST “MONOTONE”… » 84. FLAUBERT (G.). LAS à [Guy de Maupassant]. [Croisset, [9?] août 1878]. 4 pp. in-8° sur papier bleu. 6 000 / 8 000 € Très belle lettre où Flaubert demande à Guy des nouvelles de sa mère, Laure Le Poitevin, la sœur de son ami défunt Alfred : « Dans votre dernier épître vous ne parlez pas de votre pauvre maman. Je voudrais bien avoir de ses nouvelles. Restera-t-elle tout cet été à Paris… » ; puis il évoque la rédaction de Bouvard et Pécuchet : « Bouvard et Pécuchet continuent leur petit bonhomme de chemin. Maintenant je prépare le chapitre de la politique. J’ai à peu près toutes mes notes ; depuis un mois je ne fais pas autre chose et dans une quinzaine j’espère me mettre à l’écriture. Quel bouquin ! ... » La lettre change de ton quand Flaubert interpelle Maupassant : « Maintenant parlons de vous. Vous vous plaignez du cul des femmes qui est “monotone”. Il y a un remède bien simple, c’est de ne pas vous en servir. “Les événements ne sont pas variés.” Cela est une plainte réaliste, et d’ailleurs qu’en savez-vous ? Il s’agit de les regarder de plus près. Avez-vous jamais cru à l’existence des choses ? Est-ce que tout n’est pas illusion ? Il n’y a de vrai que “les rapports”, c’est-à-dire la façon dont nous percevons les objets. “Les vices sont mesquins”, mais tout est si mesquin ! “Il n’y a pas assez de tournures de phrases !” Cherchez et vous trouverez. Enfin, mon cher ami, vous m’avez l’air bien embêté et votre ennui m’afflige, car vous pourriez employer plus agréablement votre temps. Il faut, entendez-vous, jeune homme, il faut travailler plus que ça. J’arrive à vous soupçonner d’être légèrement caleux. Trop de p… ! trop de canotage ! trop d’exercice ! oui monsieur le civilisé n’a pas tant besoin de locomotion que prétendent messieurs les médecins. Vous êtes né pour faire des vers, faitesen ! “Tout le reste est vain”, à commencer par vos plaisirs et votre santé. Vous vivez dans un enfer de m…, je le sais et vous plains du fond du cœur. Mais de 5 heures du soir à 10 heures du matin tout votre temps peut être consacré à la muse, laquelle est encore la meilleure garce. Voyons ! mon cher bonhomme, relevez le nez ! À quoi sert de recreuser sa tristesse ? Il faut se poser vis-à-vis de soi-même en homme fort : c’est le moyen de le devenir. Un peu plus d’orgueil, superlotte ! Le “Garçon” était plus crâne. Ce qui vous manque, ce sont “les principes”. On a beau dire, il en faut ; reste à savoir lesquels. Pour un artiste, il n’y en a qu’un : tout sacrifier à l’art ! … Je me résume, mon cher Guy : prenez garde à la tristesse. C’est un vice. On prend plaisir à être chagrin… Croyezen l’expérience d’un scheik à qui aucune extravagance n’est étrangère. Je vous embrasse tendrement Votre vieux. » Plis restaurés. La lettre a été pliée pour être montée sur un onglet dans un exemplaire de l’édition originale de Bouvard et Pécuchet. Le volume a été relié par Gruel, et est bien complet des plats de la couverture. Un mors légèrement fendu sur la hauteur d’un caisson. Dimensions : 179 x 115 mm pour le livre. Flaubert, Correspondance, IV, Gallimard, pp. 415-416.

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