Presque tout Dumas Tout le monde a lu Dumas, mais personne n’a lu tout Dumas, pas même lui, a écrit Charles Hugo dans Les Hommes de l’exil. L’image associée usuellement à Alexandre Dumas père est bien celle d’un fleuve, impétueux, intarissable, irrésistible. Le catalogue de la collection, consacré à Alexandre Dumas père, patiemment rassemblée par Geneviève et Jean-Paul Kahn, et, dans la réserve d’Artcurial, les rayons surchargés supportant l’édition originale de presque tous les livres sortis de sa plume, apportent la plus éclatante des reparties à la question angoissée que, à la veille de sa mort, le vieil écrivain posait à son fils : – Eh bien ! Crois-tu, qu’il restera quelque chose de moi ? Le fils, souriant, ses yeux dans les yeux de son père, pouvait lui répondre avec assurance : – Si tu n’as pas d’autre inquiétude que celle-là, tu peux être tranquille, il restera beaucoup de toi. Il démentait ainsi ceux qui mettaient en doute la pérennité de l’œuvre paternelle. Longtemps, en effet, l’audience de l’auteur des Trois Mousquetaires était loin d’égaler sa popularité. Il était considéré comme un écrivain de seconde zone, un histrion, qu’un Balzac, par exemple, flagellait violemment : « C’est un homme taré, un danseur de corde et, pis que cela, un homme sans talent », écrit-il à Mme Hanska le 1er décembre 1836. Au contraire, et c’est tout naturel, Alexandre Dumas fils, dans une lettre à George Sand, s’est plu à rendre hommage à son père, ce « Prométhée bon enfant qui avait fini par désarmer Jupiter et par mettre son vautour à la broche. » Tout lecteur de Dumas entretient avec lui un lien presque charnel, fait de connivence et d’admiration. « Je le lis et le relis, continue son fils, et je suis écrasé par moments par cette verve, cette érudition, cette fécondité, cette bonne humeur, cet esprit, cette grâce, cette puissance, cette passion, ce tempérament et cette assimilation originale des choses et même des gens, sans imitation et sans plagiat. Il est toujours clair, précis, lumineux, sain, naïf et bon. Il ne plonge jamais profondément dans l’âme humaine, […] D’ailleurs s’il ne s’enfonce pas dans les profondeurs, il monte très souvent dans l’idéal. Et quelle sûreté ! quelle fermeté dans les lignes. Quelle composition admirable quelle perspective ! Et comme l’air circule dans tout cela ! Quelle variété de tons toujours justes. […] Et toujours amusant. Quelqu’un me disait un jour : Comment se fait-il que votre père n’ait jamais écrit une ligne ennuyeuse ? Je lui répondis : Parce que ça l’aurait ennuyé. » Nous qui, depuis cinquante ans, avons pris l’habitude de commencer la journée en ouvrant un livre signé Dumas, et de l’achever en le fermant, nous feuilletons les innombrables pages, retrouvées grâce à Geneviève et Jean-Paul Kahn, avec le respect presque religieux qui s’impose. Nous admirons le superbe exemplaire de lA’ lchimiste calligraphié sans doute par Dumas luimême et orné d’aquarelles d’Adrien Dauzats, Louis Boulanger, Jules Dupré. Ce livre unique était destiné « À sa Majesté : Nicolas 1er / Empereur / de toutes les Russies / Son très humble et très obéissant serviteur ». Dumas, avide de décorations, s’attendait à être honoré de l’ordre de Saint-Stanislas. « Une bague avec chiffre suffira » décréta le décevant Nicolas Ier. Nous sommes émus en retrouvant, sur son habituel papier bleu, la superbe écriture du maître : il s’agit du manuscrit autographe complet du Dernier Roi1, c’est-à-dire Louis-Philippe. C’est un violent réquisitoire contre son ancien employeur qui avait trahi la révolution de Juillet. Nous nous penchons avec curiosité sur d’autres autographes : ceux d’articles du journal L’Indipendente qui, rédigés en français, ont été publiés en italien à Naples : l’épopée des Mille achevée, Dumas avait fondé ce journal afin de soutenir de sa plume l’action de salubrité politique entreprise par son ami Garibaldi. Nous découvrons encore une des très rares éditions originales des Trois Mousquetaires (Baudry, 1844), qui, plus que du roman, relève du mythe. Comme Edmond Dantès, ébloui par la découverte de son trésor, nous fermons les yeux, comme font les enfants, pour apercevoir, dans la nuit étincelante de leur imagination, plus d’étoiles qu’ils n’en peuvent compter dans un ciel encore éclairé. C. S. 1 Le Dernier Roi. Paris, Hippolyte Souverain, éditeur, rue des Beaux-Arts, 5, 1852. L’ouvrage, illustré, est titré Histoire de la vie politique et privée de Louis-Philippe (Paris, Dufour et Mulat, 21, quai Malaquais, 1852). Je remercie mon ami Philippe Luiggi d'avoir eu la gentillesse de me confier l'expertise de la bibliothèque de Geneviève et Jean-Paul Kahn. La rédaction de ce catalogue nous a fait remonter le temps quarante ans en arrière à l'époque où nous nous retrouvions à la librairie Nicaise où travaillait mon épouse Véronique. Ce travail m'a ainsi permis de leur exprimer ma reconnaissance et d'y associer ma défunte épouse. Je remercie enfin Chantal Bigot de l'aide précieuse qu'elle m'a apportée. Merci à tous, Jacques Benelli Lot 37, Alexandre DUMAS, Mademoiselle de Belle-Isle, Drame en cinq actes, en prose, Paris, Dumont, 1839 - p.33
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