88 167. George SAND (1804-1876). L.A.S., Nohant 30 mai 1867, à Gustave Flaubert ; 4 pages in-8. 1 000 / 1 500 € Très belle lettre d’amitié littéraire de Sand à Flaubert. « Te voilà chez toi, vieux de mon cœur, et il faudra que j’aille t’y embrasser avec Maurice [son fils]. Si tu es toujours plongé dans le travail, nous ne ferons qu’aller et venir. C’est si près de Paris, qu’il ne faut point se gêner. Moi, j’ai fini Cadio, ouf !!! Je n’ai plus qu’à le relicher un peu. C’est une maladie que de porter depuis si longtems cette grosse machine dans sa trompette. J’ai été si interrompue par la maladie réelle, que j’ai eu de la peine à m’y remettre. Mais je me porte comme un charme depuis le beau tems et je vas prendre un bain de botanique. Maurice en prend un d’entomologie. Il fait trois lieues avec un ami de sa force pour aller chercher au milieu d’une lande immense un animal qu’il faut regarder à la loupe. Voilà le bonheur ! c’est d’être bien toqué. Mes tristesses se sont dissipées en faisant Cadio. À présent je n’ai plus que quinze ans et tout me paraît pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Ça durera ça que ça pourra. Ce sont des accès d’innocence, où l’oubli du mal équivaut à l’inexpérience de l’âge d’or. Comment va la chère mère ? Elle est heureuse de te retrouver près d’elle ! – Et le roman [L’Éducation sentimentale] ? Il doit avancer, que diable ! Marches-tu un peu ? es-tu plus raisonnable ? – L’autre jour, il y avait ici des gens pas trop bêtes qui ont parlé de Mme Bovary très bien, mais qui goûtaient moins Salammbô. Lina [sa bru] s’est mise dans une colère rouge, ne voulant pas permettre à ces malheureux la plus petite objection ; Maurice a dû la calmer, et là-dessus, il a très bien apprécié l’ouvrage, en artiste et en savant, si bien que les récalcitrants ont rendu les armes. J’aurais voulu écrire ce qu’il a dit. Il parle peu et souvent mal. Cette fois c’était extraordinairement réussi. Je ne veux donc pas te dire adieu, mais au revoir, dès que je pourrai. Je t’aime beaucoup, beaucoup, mon cher vieux, tu le sais. L’idéal serait de vivre à longue année avec un bon et grand cœur comme toi. Mais alors on ne voudrait plus mourir, et quand on est vieux de fait, comme moi, il faut bien se tenir prêt à tout. Je t’embrasse tendrement, Maurice aussi. Aurore [sa petite-fille] est la personne la plus douce et la plus farceuse. Son père la fait boire en disant : Dominus vobiscum, elle boit, et répond amen. La voilà qui marche. Quelle merveille que le développement d’un petit enfant ! On n’a jamais fait cela. Suivi jour par jour, ce serait précieux à tous les points de vue. C’est de ces choses que nous voyons tous sans les voir. Adieu encore, pense à ton vieux troubadour, qui pense à toi sans cesse. » Correspondance, t. XX, n° 13135. Correspondance Flaubert-Sand (éd. A, Jacobs), p. 139. Ancienne collection Daniel Sickles (XII, 5080).
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