ADER Nordmann. Paris. LETTRES & MANUSCRITS AUTOGRAPHES

116 226. Jean JAURÈS (1859-1914). Manuscrit autographe signé, Programme d’hier et programme de demain, [août 1905] ; 21 pages grand in-fol., montées sur onglets et reliées en un vol. demi-basane rouge à coins (rel. un peu frottée). 1 800 / 2 000 € Important article politique, publiée à la une de L’Humanité du 26 août 1905. Le manuscrit présente quelques ratures et corrections. Jaurès commence par évoquer Georges Périn (1838-1903), « un des hommes qui par la hauteur morale, par l’inflexible probité de la vie et la fermeté de l’intelligence, ont le mieux servi la République et honoré le parti républicain ». Il cite notamment le programme que Périn exposait à ses électeurs de Limoges en février 1876, avec notamment « la révision démocratique de la Constitution » et « la nomination du Sénat par le suffrage universel direct », ainsi que l’impôt sur le revenu. Jaurès cite également d’autres discours de Périn, exposant son programme de réformes, avant de constater que « le vote de la loi de dix heures appliquée même aux hommes dans les ateliers mixtes, et la sérieuse mise en chantier de la loi sur les retraites qui introduit dans notre législation le principe de l’assurance sociale, sont bien conformes à la pensée de George Périn, et vont même sans doute au-delà de ce que, à cette date, il désirait […] Ainsi, en résumé, dans l’ordre social comme dans l’ordre politique, la République en trente années a réalisé presque tout le programme de George Périn. En tout cas, il n’est plus besoin que d’un effort léger pour que rien du programme radical de 1876 ne reste à accomplir. Trente ans, c’est beaucoup sans doute et bien des républicains, bien des travailleurs, à l’aurore de la République, avaient espéré une réalisation plus prompte des réformes, une marche plus rapide du progrès. Qu’est-ce qui a appesanti cette marche ? Est-ce la naturelle résistance des préjugés et des égoïsmes ? Est-ce la difficulté d’aboutir à des actes, à de vigoureuses décisions communes dans un peuple que gênent encore bien des liens du passé, et qui est tourmenté par le croissant antagonisme des classes modernes, la bourgeoisie capitaliste et le prolétariat ? Ou la faute en est-elle aussi aux combinaisons des partis, à leurs rivalités, aux coupables calculs de ceux qui se sont servis, contre le peuple en marche, de la popularité même qu’il leur avait donnée ? Malgré tout, c’est chose réconfortante, et qui doit confondre les sceptiques que, dans l’espace d’une génération, ce qui était en 1876 le programme de l’extrême gauche la plus intransigeante se soit réalisé. À travers toutes les difficultés, toutes les compétitions et toutes les crises, à travers le Seize Mai, les âpres conflits des opportunistes et des radicaux, le boulangisme, et ce bourbier du Panama dont la réaction voulut faire un gouffre, enfin, malgré la nationalisme et les hypocrites appels des réacteurs à la patrie, ce qui était en 1876 un programme ultra radical, dénoncé par les timorés comme révolutionnaire, et que Gambetta commençait à désavouer, est entré tout entier dans la loi française. Et cela, par l’effort légal de la démocratie sans violence, sans effusion de sang, sans mouvement de la rue, le prolétariat étant toujours resté au contraire du côté de la légalité ». Jaurès trace alors son programme pour « la transformation de la République politique en politique sociale », en changeant « le système même de la propriété ». Pour cette tâche ardue, « le socialisme peut compter sur des forces nouvelles, une République plus affermie par la durée et par une longue suite de combats victorieux, un peuple plus éclairé, bientôt affranchi des derniers restes de la tutelle politique d’Église, une classe ouvrière mieux groupée dans ses organisations économiques, mieux préparée à comprendre et à gérer le monde nouveau enfin la puissance logique d’entraînement et d’expansion des premières réformes sociales, notamment des lois d’assurance sociale qui, étendues à tous les risques naturels et sociaux et appliquées dans une démocratie, ne tarderont pas à introduire le prolétariat dans le contrôle de la production ». Et il conclut : « Le socialisme a conquis, dans la défense de la République et du droit humain, dans la collaboration active à l’accomplissement de l’ancien programme radical, une autorité politique et morale que les calomnies forcenées des patriotes de réaction ne lui arracheront pas, et qu’il emploiera tout entier à la réalisation du programme nouveau. Ce programme socialiste, collectiviste, communiste, ce sera tout ensemble un programme intégral et un programme d’évolution. Je veux dire qu’il devra préciser, en des textes législatifs, le plein fonctionnement de la société nouvelle, débarrassée de toute la propriété capitaliste et administrée par les travailleurs au profit des travailleurs, et qu’il devra préciser en même temps les lois de transition, de préparation et d’éducation qui peuvent conduire le plus rapidement possible au régime nouveau. Ainsi le socialisme sera prêt à tout événement. Si la marche rapide des choses et des esprits, ou une crise extraordinaire de l’Europe, lui permettent de réaliser en un moment tout son idéal, et de donner plein essor à son principe, son plan d’action sera tout prêt. S’il est obligé de procéder par étapes, du moins aura-t-il mis en pleine lumière le but et le chemin ».

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