ADER Nordmann. Paris. COLLECTION BRIGITTE ET ROLAND BROCA.

5 Brigitte et Roland Broca : un engagement commun, une passion engagée Comment un psychiatre des hôpitaux aux multiples engagements politiques et sociétaux devient-il un collectionneur éclairé ? Comment du divan de Jacques Lacan, rue de Lille, le dernier de ses « analysants » (comprenez « en analyse ») s’est-il soudain pris de passion pour les manuscrits, les beaux livres, la reliure et ses artisans ? Comment devient-on un collectionneur éclectique d’Art Nouveau et de peinture du XVIIIe quand on a consacré sa vie à écouter pour les sauver des adolescents en perdition, des justiciables en souffrance, des parents défaillants ? Comment, de tribunes en commissions d’enquêtes parlementaires, ce défenseur infatigable du droit à une santé mentale plus humaine a-t-il pu devenir un collectionneur avisé et inspiré ? C’est sans doute qu’à côtoyer de près les aspects les plus sombres, les plus tragiques de notre humanité, on se prend à rechercher irrésistiblement ce qu’il y a aussi de plus beau et de plus génial en elle. Comme on cherche une consolation. Personnalité hors du commun, parfois un peu décalée et à certains égards romanesque, Roland Broca vit intensément ses passions, celle de son métier de psychiatre engagé comme celle de collectionneur. Mais ses deux passions ne sont totalement étrangères l’une à l’autre. Roland a passionnément collectionné les manuscrits de Céline, parce que son style, son audace, sa folie haineuse sans filtre ont fasciné le psychiatre qu’il est. Et ceux de Sade pour y scruter les perversions comme on disséquerait un organe malade. J’ai eu le privilège d’ouvrir aux côtés de Roland, des cartons ordinaires, en forme de boites à chaussures, empilés au pied de son divan et d’y découvrir avec une profonde émotion, les manuscrits, surchargés et raturés, de ces deux monuments de la littérature, véritables énigmes du fonctionnement psychique humain. Alors pourquoi le troisième géant, Zola ? Une histoire passionnelle encore : celle pour son épouse, Brigitte, grande admiratrice de Zola. Passion commune pour la littérature, passion mutuelle de l’un pour l’autre : c’est par amour pour Brigitte que Roland a constitué cette partie de la collection et c’est ensemble que ce couple magnifique a décidé de se séparer de la « collection Brigitte et Roland Broca » qu’ils ont tant aimée, si souvent visitée ensemble. Comment se séparer de ce qu’on a tant aimé? D’aucuns s’étonneront sans doute qu’un généticien soit invité à écrire ces quelques lignes. Car, c’est bien connu, psychanalystes et généticiens sont des « ennemis héréditaires !». Rien n’est plus faux ! J’ai rencontré Roland Broca dans un institut médicoéducatif qu’il dirigeait et où j’intervenais pour faire la part de l’organicité chez ces enfants autistes dont la maladie restait mystérieuse. De cette expérience unique de 25 ans, ont émergé non seulement des réponses rationnelles que la science peut - parfois - apporter aujourd’hui aux questions que se pose tout parent d’enfant différent. Il en est sorti aussi une profonde amitié et la conviction commune qu’écouter et comprendre l’autre, c’est lui rendre justice et dignité. « Tout chagrin est consolable quand on peut en faire le récit » (Jorge Semprun). Merci à Brigitte et Roland Broca pour une belle leçon de ferveur, d’amour, d’amitié et d’humanité. Arnold Munnich Mai 2024

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