ADER Nordmann. Paris. COLLECTION BRIGITTE ET ROLAND BROCA.

248 317. Louis ARAGON (1897-1982). Manuscrit autographe signé, De Gérard Philipe, [1959] ; 4 pages in-4 avec ratures et corrections. 1 000 / 1 200 € Très beau texte sur la mort de Gérard Philipe (25 novembre 1959). « Perdican est mort. Parce qu’on a pu lui passer l’habit du Cid pour enfin dormir, le Cid ne meurt pas, il vieillit... [...] Pourquoi de tous ces personnages insensés de courage ou de perversité, de grandeur ou d’amour, Gérard Philipe restera-t-il désormais pour moi Perdican ? Peut-être que c’est parce que c’est la dernière image vivante, je veux dire au théâtre, et non cette ombre de l’écran, que je garde de lui. Ah, quel Perdican c’était ! Intolérable comme la jeunesse »... Il regrette les rencontres manquées les mois derniers avec Gérard Philipe qui s’installait 17 rue de Tournon ; son opération ; la foule silencieuse devant la maison ; le sinistre ballet autour de la chambre mortuaire... « Perdican ne pouvait vieillir. À trente-sept ans, l’âge où meurent Pouchkine, Apollinaire, Maïakovski, il a fermé les yeux avant d’être différent de lui-même [...] Gérard Philipe, derrière lui, ne laisse que l’image du printemps. Il faut savoir amèrement l’en envier. Les héros comme lui ne prennent jamais de rides [...]... Par le monde entier, cette mort frappe de stupeur tous ceux qui ont la tête pour les rêves et un cœur pour aimer. Par le monde entier, les jeunes gens se sentent ici atteints dans leur jeunesse [...] Les siens l’ont emporté dans le ciel des dernières vacances, à Ramatuelle, près de la mer, pour qu’il soit à jamais le songe du sable et du soleil, hors des brouillards, et qu’il demeure éternellement la preuve de la jeunesse du monde. Et le passant, tant il fera beau sur sa tombe, dira : Non, Perdican n’est pas mort ! Simplement il avait trop joué, il lui fallait se reposer d’un long sommeil ». 318. Louis ARAGON (1897-1982). Manuscrit autographe, signé en tête, Aragon vous parle de lui-même, [1959] ; 6 pages in-4, avec quelques ratures et corrections. 1 000 / 1 500 € Très beau texte d’Aragon sur sa poésie (publié dans France Nouvelle, hebdomadaire du Parti communiste français, le 17 décembre 1959). « Comment parler de soi quand le monde retentit du bruit des tragédies... et la vie emportée par les eaux de Malpasset, Fréjus sous la pluie implacable, les corps dragués au large de Saint-Raphaël, et ces drames que traduisent les visages pour moi d’Anne Philipe, de Michèle Morgan [...] Justement, la tragédie, André Malraux, dont je n’aimais guère la désinvolture à juger Racine, en a fait son cheval de bataille dans les théâtres nationaux. Le lui reproche qui veut. Je n’ai guère le goût de polémiquer avec lui [...] Je ne saurais lui dénier le sens du tragique, et c’est son affaire sil s’associe à ce genre de comédie-bouffe qui fait des Ministres, de l’Instruction Publique ou de la Culture, des personnages de Flers et Caillavet »... C’est à propos d’une anthologie de ses poèmes qu’Aragon évoque «ces reflets oubliés, échelonnés le long de ma vie [...] Un poème, c’est daté comme un article [...] aussi comprendra-t-on que, me relisant, je voie, dans le miroir, par dessus mon épaule, un monde que les vers autant que moi-même me montrent, le journal du temps traversé, l’histoire des autres, qui est aussi mon histoire ». Aragon s’attarde sur Feu de joie écrit en 1918 et qui «paraît en même temps que Mont de Piété d’André Breton, marqué de ce divorce volontaire avec le mallarmisme de sa première jeunesse (que je resterai peut-être le seul à aimer contre le poète lui-même), cette science extrême du vers traditionnel, pour se jeter au feu d’un modernisme qui n’est pas encore le surréalisme ». Il évoque la genèse de la « conjuration particulière » du surréalisme autour de la revue Littérature, avec Soupault, Eluard, Tzara venu de Zurich « faire éclater ici la bombe Dada », l’adhésion au Parti Communiste en 1927, et les heurts avec ses amis « sur la conception même de la poésie» ; et Aragon recopie alors un poème de Feu de joie, le Couplet de l’Amant d’Opéra, et s’interroge sur

RkJQdWJsaXNoZXIy NjUxNw==