ADER Nordmann. Paris. COLLECTION BRIGITTE ET ROLAND BROCA.

227 ce monstrueux déni de justice, en obéissant, en consentant à passer par la petite porte qu’on a bien voulu laisser entrebaillée encore, sous le prétexte dérisoire de respecter l’action civile ? Ce serait, il me semble, profiter de l’amnistie, ne plus l’ignorer, ne plus la rejeter dans son abomination totale. Et, d’autre part, allons-nous accepter cette diminution de nous-mêmes et de nos actes, qu’on nous offre comme une aumône. Nous nous battions pour la vérité, pour la justice, nous défendions une cause sainte, dont la grandeur soutenait nos courages, nous faisions une œuvre magnifique et désintéressée d’équité, d’humanité. Et voilà qu’on la salit, qu’on l’anéantit entre nos mains, et puis on veut bien nous dire, en forme de consolation, qu’on nous permet de plaider au civil, si nous nous croyons lésés dans nos intérêts matériels. Maintenant que notre œuvre d’idéal est dans la boue, nous pouvons tenter de passer à la caisse, et l’on s’est arrangé pour étrangler le peu de vérité que nous tâcherions encore de faire. Je ne sais rien de plus insolent ni de plus humiliant. Eh bien ! mon ami, j’ai réfléchi et je préfère tout abandonner. Je ne veux pas être complice, en acceptant quoi que ce soit de leur amnistie. Je ne veux pas que notre affaire si noble et si pure d’intérêt égoïste finisse lamentablement dans de basses questions d’argent. Cela me gâterait tout notre effort d’abnégation et de bravoure ». Zola a obtenu une condamnation à 5000 francs de dommages-intérêts contre Judet, « l’insulteur de mon père ». Il ajoute : « Je n’ai dans notre justice sociale aucune confiance, et ce n’est pas à elle en tout cas que j’aurai jamais l’idée de confier mon honneur et celui de mon père. Ma défense et celle des miens, dans des questions de conscience, est une besogne qui me regarde et à laquelle je suffis ». Quant aux experts Belhomme, Couard et Varinard, qui, « non contents d’avoir commis la stupéfiante et inquiétante erreur de ne pas reconnaître dans le bordereau l’écriture et la main d’Esterhazy, ont eu la triomphante idée d’aggraver leur cas, en me faisant condamner à trente mille francs de dommagesintérêts parce que je les avais accusés “d’avoir fait des rapports mensongers et frauduleux, à moins qu’un examen médical ne les déclare atteints d’une maladie de la vue et du jugement” [...] ils ont fait saisir et vendre mes meubles, pendant mon absence. Leurs trois noms sont à jamais gravés sur un monument impérissable. Pourquoi ne pas les laisser galoper, les poches pleines ? Qu’ils gardent l’argent ! L’âcre ironie de l’aventure en sera plus forte, et il y aura dans l’Affaire un peu plus de bassesse. Voilà, mon ami, ma décision, que j’avais à vous faire connaître. Après vous avoir tant admiré, tant aimé, aux jours héroïques, dans vos plaidoiries si belles d’éloquence et de courage, je ne vous vois pas disputailler en mon nom, devant une chambre civile, pour encaisser les cinq mille francs de M. Judet ou pour rattraper les trente mille francs des experts. On nous a, je le répète, brisé et souillé l’œuvre de justice, l’œuvre d’humanité que nous accomplissions, au nom de l’idéal, et nous n’irons pas la traîner, l’achever, en d’étroits procès d’intérêt personnel, qui ne seraient plus à la cause que d’une longue et douloureuse inutilité. La vérité ne pourrait venir de là, et elle viendra »…

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