ADER Nordmann. Paris. COLLECTION BRIGITTE ET ROLAND BROCA.

201 Pro domo mea a été publié à la « une » du Figaro du 18 juillet 1881, en réponse au « Courrier de Paris » d’Albert Wolff dans Le Figaro du 12 juillet, critiquant violemment l’article de Zola sur Alexis et Maupassant, publié la veille. Le manuscrit est rédigé à l’encre noire sur 14 feuillets de papier bleu très fin, qui ont été découpés au journal pour l’impression ; les trois derniers paragraphes, très brefs, manquent. Il présente quelques ratures et corrections. Zola commence : « On m’accuse de parler trop souvent de moi. Mais, en vérité, ma position est terrible. Attaqué de toutes parts, et presque toujours d’une façon odieuse, je n’ai naturellement que deux partis à prendre : ne pas répondre, ce que je fais neuf fois sur dix, et passer alors pour un homme écrasé sous des réquisitoires triomphants ; ou répondre, et alors être convaincu d’avoir encombré la presse de ma personnalité vaniteuse ». Cette fois, il vient d’être brusquement pris à partie par Albert Wolff, pour avoir parlé du jeune romancier Paul Alexis (qui s’était moqué du chroniqueur dans un article). Et Zola s’interroge : « Est-il tolérable qu’un collaborateur tombe sur un autre collaborateur, à propos d’un article où il n’est nullement question de lui, et sous le prétexte qu’on y accorde du talent à un écrivain qu’il déteste ? La réponse est certaine à l’avance. On jouit d’une très grande liberté au Figaro, liberté précieuse dont j’ai peut-être abusé moi-même. Mais jamais je n’ai poussé les choses jusqu’à mettre directement un de mes collaborateurs en cause, à le nommer, à l’interpeller, à fouiller sa conscience, à exiger des explications, à lui donner des conseils. Un rédacteur en chef n’oserait même prendre une pareille attitude. Il ferait venir le rédacteur dans son cabinet et ne rendrait pas le public témoin d’une lessive de famille ». L’article d’Albert Wolff est inacceptable : « Je n’ai aucune explication à fournir à M. Albert Wolff, et je refuse très catégoriquement ses conseils. Je ne lui accorde pas plus le droit d’intervenir dans ce que j’écris ici, que je ne m’arroge celui de contrôler ce qu’il publie à cette place. Il fait sa besogne, je fais la mienne. C’est à notre rédacteur en chef qu’il appartient de s’occuper de ces choses, et c’est le public seul qui doit juger nos articles ». Zola apprend que ses articles du Figaro blessent souvent Albert Wolff : « Il trouverait que je n’ai pas ses idées, que je le contrecarre, que je ne partage ni ses amitiés ni ses inimitiés. Cela est certainement fâcheux. Mais il ne songe pas à une chose : c’est que, de mon côté, je pourrais exhaler les mêmes plaintes. Pourquoi n’a-t-il pas mes idées ? pourquoi ne respecte-t-il pas mes amis et ne m’aide-t-il pas à vaincre mes ennemis ? » Zola tolère les articles de Wolff « qui vont contre tout ce que je pense et tout ce que j’écris », et Wolff devrait avoir la même patience à son égard… « Le plaisant de l’histoire est que les amis de M. Albert Wolff, journellement, me traînent dans la boue. Est-ce que je lui ai jamais fait une invitation publique à ne plus avoir à imprimer leur nom dans le Figaro ? Est-ce que je me mets en colère, quand il leur trouve beaucoup de talent, moi, qui ne leur en trouve pas du tout ? Non, je lui laisse sa liberté, et je ne me permets que de réclamer la mienne. […] En résumé, nous exprimons ici librement nos idées, nous signons nos articles, et c’est au public seul à prononcer, sans que nous ayons à nous blâmer les uns les autres »... Zola rappelle que c’est Francis Magnard qui lui a « offert de faire une campagne dans ce journal. Je ne lui ai point caché que je ne partageais pas toutes les opinions du Figaro ; mais je me suis engagé à exprimer les miennes poliment, de façon à ménager de justes susceptibilités […] Je ne suis donc ici que l’hôte d’un moment, auquel on veut bien donner toute liberté de langage, sachant qu’il n’en abusera pas. Quand M. Albert Wolff me conseille de rentrer dans les rangs, il se méprend d’une façon singulière, car je n’ai accepté aucun rang. Je suis en représentation si l’on veut, j’apporte ma note, dont le mérite n’est peut-être que dans le contraste ». Les attaques d’Albert Wolff viennent s’ajouter au « débordement de commérages odieux, d’histoires bêtes et sales, d’accusations abominables. Et toujours la même ordure, ma maison transformée en tonneau de vidange, tout ce que je touche changé en excrément, mes amis, les miens, tout ce que j’aime noyé dans ce flot de puanteurs»… Si Zola a accepté de faire une campagne dans le Figaro, c’est pour se « montrer à un grand public, tel que je suis, avec mes partis pris sans doute, avec mes injustices peut-être mais avec le souci de ma dignité et de la dignité des autres »... Et il peut dire au public : « Telles sont mes œuvres, j’ai tâché de me faire connaître, jugez-moi. Sans doute, il est explicable que j’expie certaines de mes franchises. Mais voici ma vie de travail, qui est claire et sans tache. Mon orgueil est un mensonge, ma méchanceté est un mensonge, je ne suis que l’humble soldat du vrai. Quand je me suis trompé, je l’ai fait par passion pour les lettres. Que le public, le public seul, me mette à ma place, et qu’il mette mes adversaires à la leur. J’accepte la décision »… .../... .../...

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