|
|
|
|
|
|
|
|
Partager et Echanger Tweeter Partager et Echanger |
FONDS PIERRE BERES - 80 ANS DE PASSION.
Des incunables à nos jours.
Le plus grand libraire du monde.
|
La librairie avenue de Friedland, à Paris, près de l'Arc de Triomphe.
Ça a commencé comme ça, dirait Bardamu. «Je lisais beaucoup. A 11-12 ans, Corneille, Racine, Bossuet, Vigny, puis Verlaine, Rimbaud, Lautréamont. A 14-15 ans, j'achetais les premières éditions des auteurs à la mode, Kessel, Duhamel, le Prix Goncourt Bedel. En 1931, au 3e étage de la rue Vaneau, chez ma mère qui parlait l'anglais comme le français, je disposais d'une chambre et d'une autre attenante. Là, à 17 ans, est né mon premier catalogue», raconte Pierre Berès, octogénaire très improbable. Le premier prêt maternel, «50 000 F, beaucoup d'argent pour qui n'avait pas de fortune, dépensé en huit jours ! Je savais ce que je voulais, une lettre autographe d'Oscar Wilde, un poème de Verlaine à Rimbaud». Voilà le début d'une longue carrière, lancée par des rencontres au culot (Gide, Paul Morand) et des coups dignes du poker (achat en 1957 de la collection formée au XVIe par les patriciens Pillone). Qui a rencontré Pierre Berès connaît l'esthète, ici un petit bronze de Matisse et là un homme pensif par Le Fresnaye, l'ami de grands collectionneurs comme Jaime Ortiz-Patiño, le solitaire dont le bureau privé plonge dans le jardin du Musée Rodin. «Trois épithètes pour un personnage ? Intelligence, goût et ambiguïté... Pierre est le prince de l'ambiguïté, il y a de l'ombre dans le tableau», s'amuse Pierre Bergé, fier que son «vieil ami ait commencé comme moi à 18 ans, jeune courtier en librairie avec l'assurance que donne le goût de connaître et d'avoir raison». Au panthéon des plus grands libraires du XXe siècle, notez A.S.W. Rosenbach qui acheta 1 950 $ en 1924 aux enchères à New York le manuscrit d'Ulysse de Joyce («cathédrale de prose» déposée au Rosenbach Museum & Library de Philadelphie), l'Italien Tammaro de Marinis qui connut toute l'aristocratie de l'Europe, les Kraus, Américains d'origine viennoise, et les Breslauer, dynastie entre Berlin et New York dont Christie's a vendu la collection bibliographique au printemps. Palmarès établi par le grand érudit qu'est Félix de Marez Oyens, conseil en bibliographie à Paris, toujours sur le «Board» de Christie's, et directeur de la fondation Breslauer à New York. «L'histoire retiendra-t-elle Pierre Berès, au-delà de sa vision, de son art psychologue et de ses victoires ?», s'interroge son ex-associé, Néerlandais qui a deux grands hommes, Johan Huizienga et Érasme, austères en diable.V. D. Le Figaro - Vendredi 15 juillet 2005. Valérie Duponchelle Pierre Berès, le livre des sortilèges. Le grand libraire parisien vendra à l'automne le fonds de sa fameuse librairie, soit «80 ans de passion» à l'aune de son personnage. Ce jour-là, Pierre Berès, grand front et oeil de renard, avait bousculé le gris souris de son pull en cachemire par une cravate vert pâle, digne d'un jardin anglais. «La couleur qui plaît à l'homme moderne», celle de ses iMac posés comme autant de petits révolutionnaires au coeur des livres anciens de sa librairie, avenue de Friedland (aujourd'hui fermée). Pétillant et patient comme le flatteur de La Fontaine, ce conteur «incroyablement alerte» raconte les débuts d'un jeune homme audacieux, né le 18 juin 1913 à Stockholm, élevé à Paris, à l'ombre d'une mère dont il se garde de faire l'éloge, en l'absence d'un père dont il se garde de faire le procès et dont il francisa le nom d'Europe centrale. Une vie, ébauchée avec la précision d'un Maupassant, sans le cynisme avoué de l'ambitieux et du séducteur. A 92 ans, l'épilogue n'est pas écrit. «J'habitais au 136, rue d'Assas. J'allais tous les jours à pied à Louis-le-Grand en descendant le boulevard Saint-Michel. Je m'arrêtais chez un bouquiniste, rue Auguste-Comte, où je feuilletais les revues. J'étais âgé de 13 ans, je suppose, lorsque mon copain de banc à Louis-le-Grand sort de sa poche un petit livre du XVIIe dans sa reliure en vélin, ouvrage en latin de l'imprimeur hollandais Blaeu. «Je l'ai acheté 25 centimes chez le bouquiniste !», me dit-il. J'ai été ébloui, pas par le livre, un tout petit format, mais par l'idée que, pour 25 centimes, on pouvait avoir un témoin aussi intact et évocateur de 300 ans avant nous. Cette illumination ne m'a jamais quitté», confie le libraire des libraires, controversé comme un pape en Avignon, mordant comme un requin des affaires, charmant comme un Casanova avant le bal. «Je peux être plongé au milieu d'un livre de 3 MF, découvrir et décrire avec la même joie un livre de 140 F, toujours en partant du livre, pas en m'abritant derrière le paravent des outils bibliographiques», explique, en ce printemps 2000, cet autodidacte à la culture prométhéenne pour lequel «il n'existe pas de petits livres». Ce bourreau de travail, caché sous l'hédoniste, a rédigé ainsi «des milliers de fiches» goûtées des amateurs, comme les recettes élégantes et simples qui intriguent le palais, les faisant ronronner jusqu'à la facture «souvent astronomique, au-delà du réel». «Il est capable d'inventer un livre, d'imposer ses goûts d'un éclectisme extrême, de réunir à 17 ans 30 choses formidables dans un premier catalogue», salue le collectionneur Jean Bloch, bibliophile «admiratif du visionnaire», joueur dans l'âme et pas plus effarouché que ça, «si la fin a justifié les moyens». «Je l'attendais un soir dans sa librairie pour voir Le Poète assassiné d'Apollinaire illustré par Dufy dans une reliure de Paul Bonet, quand j'entendis la voix de cet homme si hautain s'attendrir pour dire : «Ma chérie, tu es tellement belle, je t'aime !» J'étais stupéfait. Je le fus plus encore quand je compris qu'il parlait à un chat angora», raconte Jean Bloch, qui retrouva l'exemplaire hors de prix dans le catalogue de la vente Filipacchi. «Je lui ai acheté une très jolie édition des Essais de Montaigne en deux volumes, il y a 40 ans», se souvient Daniel Filipacchi depuis sa croisière d'été au coeur des Bahamas. Baroudeur encore charmé par «l'homme et sa culture distillée dans un dîner charmant chez lui», même si le collectionneur est passé depuis à des cieux plus surréalistes. «Je l'ai rencontré à Londres en 1994. J'ai vu d'abord sa main, une très belle main, s'approcher pour saisir un livre de photographies in folio à l'anglaise», témoigne Jean-Baptiste de Proyart, l'expert de sa vente fleuve à l'automne (1). Tout ébaudi par le triomphe de la première vente bibliographique de la semaine dernière, «1 700 numéros, 7 000 livres, le dossier Gide et des livres à 50 €, une vraie vente du XIXe !» (nos éditions du 11 juillet). «Il était petit, brun, sec, nerveux, comme aujourd'hui... On s'est très vite tutoyés, il est venu à ma soutenance de thèse en 1995», confie ce docteur en philosophie, séduit par «son perfectionnisme, son oeil d'aigle forgé par une culture immense du livre et de son marché». Au jeu des portraits chinois, il le voit bien être «un chat, forcément, voire un pois de senteur, un proche de François 1er, Juliette Gréco pour le côté suave, une sculpture de Giacometti ou une dent de narval». Gourmet des conquêtes et des fleurets bien mouchetés, Pierre Berès cite volontiers Erasme en amuse-bouche : «Nul homme n'est si bon qu'il ne puisse être amélioré ; de même, aucun livre n'est si travaillé qu'il ne puisse être rendu plus parfait.» Ce charmeur sait rester évasif sur les détours d'un itinéraire personnel (sept enfants de deux lits). Encourager le mystère sur sa personne, sa collection privée, les nombreuses ventes anonymes qui portent sa marque un jour des éditions aldines, un autre la littérature libertine d'un Restif de la Bretonne et la source de ses coups de théâtre. Comme la réapparition, en 2001, du manuscrit du Voyage au bout de la nuit, mythe absolu des céliniens, porté disparu depuis 1943 (préempté 12,18 MF par la BnF). «Pierre Berès n'a pas l'oeil sur le passé. Cela le rend très bon libraire et très bon homme d'affaires», saluait en 2000 son ami et complice Félix de Marez Oyens. Et d'ajouter aujourd'hui : «Connaissance et expertise, patience en abondance, capacité de gagner de l'argent, il a tout cela. Sa faiblesse serait peut-être de toujours vouloir contrôler le jeu.» (1) «Pierre Berès, 80 ans de passion», 1re partie du «Fonds de la librairie Pierre Berès, Des incunables à nos jours», le vendredi 28 octobre, 2e partie en décembre, toujours chez Pierre Bergé & Associés, à Drouot. Le Figaro - Vendredi 15 juillet 2005. Valérie Duponchelle Vente Berès du vendredi 28 octobre 2005. Une acquisition et un don pour la Bibliothèque nationale de France. Lors de la deuxième vente, par Pierre Bergé & associés, du fonds de la librairie Pierre Berès, le 28 octobre 2005, la Bibliothèque nationale de France a préempté deux importants livres annotés : (1) l'Examen des oeuvres du Sr. Desargues par Jacques Curabelle (Paris, 1644), couvert de remarques autographes par Girard Desargues lui-même, et (2) l'Institution de la religion chrétienne de Jean Calvin (Genève, 1562), largement annoté par Sully. Le premier est, par son intérêt scientifique intrinsèque, le plus important des trois seuls documents connus de la main d'un mathématicien considéré comme le plus fécond et le plus original du XVIIe siècle. Girard Desargues fut en effet le fondateur de la géométrie projective et le maître de mathématiques du jeune Pascal. Aux arguments opposés à ses thèses novatrices par l'architecte Jacques Curabelle, ses réponses marginales d'une vive énergie et d'un ton très personnel offrent un témoignage unique sur une des polémiques scientifiques les plus virulentes de ce temps. Dans les marges de l'exemplaire de l'Institution de la religion chrétienne de Jean Calvin, pas moins de 1 300 remarques écrites à l'encre brune de la main du ministre de Henri IV résument la pensée du théologien. Cet exemplaire exceptionnel a appartenu à Conrad de Witt, gendre de Guizot. L'acquisition d'un volume aussi remarquable a pu se faire grâce à la générosité de Pierre Berès, qui en offre la valeur - 115 000 euros à la Bibliothèque nationale de France. © NewsPress 2005 - 30/10/2005 http://www.newspress.fr/pro/aff_comm.asp?communique=FR166697&logo= Vente Pierre Béres. Dans l'univers infini de Copernic.
Marché de l'Art - Le livre mythique du visionnaire de la science a été la vedette de la vente du fonds du grand libraire Pierre Berès, vendredi 28 octobre 2005 à Drouot. Bouchons, vendredi dès 14 heures, devant la porte de la salle 7 de Drouot, tout le charme du chaos à la française, pour entrer en temps et en heure à la dispersion du fonds du grand libraire parisien Pierre Berès. En juillet, la maison Pierre Bergé & Associés a fort bien vendu la somme de catalogues et de bibliographie rassemblés en quatre-vingts ans de carrière par cette figure du marché parisien. Grâce à ce prologue, le bouche-à-oreille était prometteur pour ces 198 premiers lots qui dépassaient la polémique sur la personne et entraient dans le coeur du sujet, la passion d'un amateur hors pair. Même si certains regrettaient le mélange des siècles d'un catalogue serré comme un livre de messe, Des incunables à nos jours, qui ouvrait avec un fragment byzantin de l'Evangile de saint Jean (Xe) et finissait avec Les Mots de Sartre relié, presque sobrement, par Georges Leroux en 1989. Une semaine seulement après les trésors surréalistes de Daniel Filipacchi, tout le petit monde sévère des libraires et des experts était là aux premiers rangs pour ce premier acte attendu comme le drame de Macbeth. Avec 6,585 M€ de produit total et seulement 4 lots invendus, cette première vente Berès est un succès, même si d'aucuns soulignent qu'il était inévitable avec pareil pedigree, la belle lettre de Colomb et Copernic en son meilleur état. Par son De Revolutionibus Orbium coelestium, Libri VI (Nuremberg, 1543), Nicolas Copernic clarifia la relation de l'homme, prisonnier de son monde clos, à l'infini de l'univers. Trois enchérisseurs se sont battus jusqu'à 530 000 €, déjà plus du double de l'estimation haute, pour ce «bijou absolu de la bibliophilie» avis pour une fois unanime en parfaite condition avec son beau vélin d'époque et ses marges immenses. Un duel de téléphones a fait monter jusqu'à 818 454 € avec frais cet exemplaire que Pierre Berès vendit dans les années 1970 au collectionneur madrilène Bartolomeo March (le fabricant de cigarettes) et auquel il le racheta vingt ans plus tard. Le libraire londonien Bernard Quarritch l'aurait emporté pour un collectionneur (français, dit-on). La confirmation que les livres de sciences et d'astronomie, courant porteur venu d'Amérique, dominent le marché. Toujours l'Amérique avec la lettre de Colomb, relation imprimée de sa découverte du Nouveau Monde (1494), l'un des «Americana» les plus recherchés. Seulement trois apparitions aux enchères en trente ans, soit 70 000 $ en 1985, 300 000 $ à la fin des années 1990 et 523 000 € cette fois, près de quatre fois la modeste estimation de l'expert Jean-Baptiste de Proyart. Le libraire parisien Stéphane Clavreuil a emporté, contre un grand libraire espagnol et 2 téléphones, cette première représentation gravée de l'Amérique dans une reliure de l'époque aux armes de Benoît Le Court, grand bibliophile lyonnais du XVIe. Le galion sera-t-il chargé d'or tout au long de sa course ? Rendez-vous le 18 décembre pour la prochaine vente. Valérie Duponchelle - le Figaro, lundi 31 octobre 2005. Les trésors de la librairie Béres vendus à Drouot En juillet 2005, il a fallu deux jours pour vendre aux enchères les outils de travail du libraire parisien Pierre Berès : les catalogues et les ouvrages de référence, au total 1 700 titres. Cette session organisée à Drouot, par Pierre Bergé et associés, avait rapporté 630 000 euros. Le Musée Getty (Californie) était un des gros enchérisseurs. Ce n'était qu'un prologue. S'annonce maintenant la vente du fonds de la librairie elle-même. Pas moins de 8 000 titres qui vont être dispersés en cinq ou six après-midi. Le premier événement aura lieu le 28 octobre, toujours à Drouot, qui verra accourir bibliophiles et bibliothécaires du monde entier. Le deuxième épisode aura lieu le 16 décembre et les dernières ventes seront pour 2006. Avec la dispersion de ce stock prestigieux, une époque s'achève. Pierre Berès (né en 1913) a incontestablement dominé le commerce du livre ancien à Paris pendant plusieurs décennies. Il a pratiqué ce métier dès l'âge de 16 ans, en chambre, alors qu'il habitait encore chez sa mère. Deux ans plus tard, il éditait son premier catalogue. Louis Barthou, plusieurs fois président du conseil et ministre quasi inamovible, compte parmi ses premiers clients. "Barthou était un mauvais bibliophile selon nos critères d'aujourd'hui, se souvient Pierre Berès. Il aimait, comme la plupart des amateurs de son temps, les livres farcis de documents divers, lavés et reliés de neuf. L'esprit a changé. Fernand Vanderem, un écrivain boulevardier des années 1920 et 1930, a édicté quelques principes qui ont toujours cours dans le monde de la bibliophilie, et dont la règle d'or est de préférer un livre fatigué mais authentique à un ouvrage retapé." La crise économique qui suit le krach de 1929 fait que les occasions sont nombreuses sur le marché parisien. Pierre Berès sait en profiter. "C'est à cette époque qu'il a réalisé l'accumulation de son capital", note Jean-Baptiste de Proyart, l'expert de la vente. "Il s'est alors imposé comme un grand libraire", ajoute Christian Galantaris, son collaborateur pendant quatorze ans. Le jeune homme a un instinct très sûr, c'est un bourreau de travail qui établit systématiquement des fiches sur les ouvrages qui lui passent entre les mains, rédige des catalogues régulièrement et utilise des collaborateurs de qualité. "Il a toujours eu un charme fou", indique le libraire Christian Galantaris. Un charme qui séduit des collectionneurs comme Anténor Patino ou André Rodocanachi, devenus des clients fidèles. A la veille de la seconde guerre mondiale, il ouvre une librairie, avenue de Friedland, près de l'Etoile. Ernst Jünger, capitaine dans l'armée allemande, en poussera souvent la porte pendant l'Occupation. Le libraire a-t-il profité de cette époque trouble pour s'enrichir ? Certains de ses confrères ont fait courir cette rumeur, que Pierre Berès dément avec une fureur froide. Les seules fréquentations notables qu'il avoue pendant cette période ont été Aragon et Eluard, ou Maurice Goudeket, le mari de Colette, avec qui il créa une éphémère maison d'édition, La Palme, et Henrique Freyman, attaché culturel du Mexique à Paris, à qui il achètera plus tard les éditions Hermann. Jean-Baptise de Proyart, ancien de chez Sotheby's à Londres, est formel : "Les spoliations sont aujourd'hui totalement judiciarisées, notamment celles des biens juifs pour lesquels il existe des répertoires. Le nom de Pierre Berès n'apparaît à aucun moment." En revanche, cet expert montre en riant une carte postale autographe du maréchal Pétain, datée de 1928, vendue par Berès en 1942. On peut lire au verso d'une vue ruinée de Louvain, de la main de celui qui deviendra l'homme de Vichy : "Il y a deux sortes de paix : celle que l'on subit et celle que l'on impose. La deuxième est la seule qui permette d'assurer la sauvegarde du pays." C'est d'ailleurs Jacques Chaban-Delmas, jeune maire de Bordeaux, et Julien Cain, administrateur de la Bibliothèque nationale (radié par Vichy), qui, en 1947, envoient Pierre Berès à New York à la vente Lucius Wilmerding pour ramener le Livre de raison annoté par Montaigne. L'émissaire français avait reçu un viatique de 1 500 dollars pour l'occasion. Une somme nettement insuffisante. Le précieux exemplaire, aujourd'hui à la bibliothèque de Bordeaux, fut adjugé à 21 000 dollars. Pierre Berès dut emprunter la différence. Autre coup fameux, pour son compte cette fois-ci : l'achat en 1957 de la collection Pillone, 168 livres imprimés au XVe et au XVIe siècle et réunis par un patricien vénitien, vers 1590, qui avait fait orner la tranche des volumes par Cesare Vecellio, un peintre de l'entourage de Titien. Les volumes, classiques de l'Antiquité, récits de voyages, traités de médecine, ouvrages des pères de l'Eglise, appartenaient à une famille anglaise depuis le XIXe siècle. Pierre Berès les achète en bloc pour 15 000 livres. "Trois d'entre eux avaient été imprimés à Paris : je les ai offerts à la Bibliothèque Nationale. Et j'ai vendu les autres, très lentement." Et très cher. Il y a un goût Berès, notent Jean-Baptiste de Proyart et Christian Galantaris. Le libraire affectionne les époques charnières, les moments de césure où s'expriment les individualités qui font basculer le monde des arts. La Renaissance française, qui s'exprime, par exemple, à travers les reliures de Groslier ; l'entourage du régent, qui affectionne les volumes mosaïqués, ou, à la fin du XIXe siècle, le mouvement lié au japonisme. Pierre Berès, friand de ces formes nouvelles, les paie parfois le prix fort. "Il a offert 750 000 francs pour l'exemplaire d'Eluard du Cirque de Fernand Léger, relié par Rose Adler, note Jean-Baptiste de Proyart. Je ne suis pas sûr que le livre atteigne les 120 000 euros, le 28 octobre." Emmanuel de Roux - Le Monde 28 octobre 2005 Qu'est-ce qu'un bibliophile ? Le mot français bibliophile a une connotation péjorative, avoue Jean-Baptiste de Proyard, l'expert de la vente Berès, un côté notable de province à lunettes. Je préfère le mot anglais bookman, plus sobre, plus précis." Ce parti pris sémantique n'explique pas l'apparente bizarrerie de cette passion. Pourquoi s'attacher à une édition particulière alors que le texte est le même d'une édition à l'autre ? Doit-on se ruiner pour acheter un incunable de François Villon dont on peut lire les poèmes en livre de poche pour quelques euros ? D'abord, fait remarquer l'expert Jean-Baptiste de Proyart, la "collectionnite", le fétichisme de l'objet, est sans doute aussi ancien que l'homme et s'applique à toutes sortes de choses. Dont les livres. Mais, fait remarquer Pierre Berès, "on peut collectionner des livres de toutes sortes, en avoir peu ou beaucoup, la question n'est pas là. La bibliophilie est une cosa mentale". Ce que confirme Jean-Baptiste de Proyart : "Le monde des livres considéré sous l'angle du bibliophile est un monde abstrait. L'objet matériel, concret, devient une forme abstraite. Il faut faire un effort pour entrer dans ce monde, qui est en dehors de la sphère de l'image, et maîtriser les critères qui définissent l'exemplaire. Car cette définition de l'exemplaire permet de passer du multiple à l'un." UN MARCHÉ QUI SE PORTE BIEN Ces critères définis à partir du XVIIIe siècle sont divers : qualité d'impression, rareté de l'ouvrage, notoriété de l'auteur, valeur du texte, état du volume, éventuelle dédicace, annotations autographes... "Cette logique de la distinction obéit à une hiérarchie, constate Jean-Baptiste de Proyart. Il faut pouvoir maîtriser cette gamme abstraite pour entrer dans le concret de la bibliophilie." Une gamme d'autant plus abstraite qu'elle évolue selon les époques et la mode. "Aujourd'hui, ce sont les livres de sciences, notamment astronomie et mathématiques, qui ont la cote, dit l'expert de la vente Berès. Sans doute parce qu'il s'agit là d'une langue universelle qui parle à tout le monde, quelle que soit sa nationalité." Sur le marché international, les oeuvres de Descartes, Pascal, Copernic, Galilée, Newton, flambent, alors que les illustrés du XVIIIe siècle, naguère très prisés, sont plutôt stables. Les atlas et les livres de voyage ont également le vent en poupe. Globalement, la bibliophilie est un marché qui se porte bien, car il existe des collections pour toutes les bourses, et elle touche tous les secteurs de la société. "On peut rechercher des livres de poche ou les premières Série noire de chez Gallimard. Les originales de James Bond s'arrachent aux Etats-Unis, indique Jean-Baptiste de Proyart. En revanche, un exemplaire de l'Ulysse de James Joyce imprimé à Paris, avec ses innombrables coquilles, peut valoir 300 000 dollars - 247 974 euros. Le bibliophile n'est pas un insecte archaïque et velu. Il peut avoir le profil d'une star de cinéma comme Johnny Deep."
Le petit monde des grands lecteurs MARCHÉ DE L'ART Succès international, vendredi 16 décembre 2005, à Drouot, pour la 3e vente Pierre Berès. Malgré le plan Vigipirate qui filtre la circulation à Drouot, il faisait bien chaud, vendredi après-midi dans la salle 7, version française et encombrée de la tour de Babel. Du Dr Jörn Gunther de Hambourg, habitué de Maastricht, au New-Yorkais spécialisé dans les écrits en espagnol, Richard C. Ramer, barbu comme le mercenaire des jésuites dans Mission de Roland Joffé, tout le marché international du livre était là pour cette troisième vente du fonds Pierre Berès (Pierre Bergé & Associés). Près de cinq heures d'enchères pour saluer l'art du grand libraire parisien absent, 92 ans, toute une vie aux enchères et un triomphe siroté incognito à Saint-Tropez (4,58 M€ avec frais, soit un total de 11,86 M€ en trois ventes). Un acte trois qui n'a pas failli, malgré l'abondance de biens (encore 200 lots dont 93% ont trouvé preneurs, au-delà des estimations d'appel). Sans peut-être les trésors de sa vente d'octobre (818 454 € pour le cosmos de Copernic et 523 000 € pour la lettre de Colomb), mais avec de petits bijoux bien choisis. Ainsi, les Clavreuil de la librairie Thomas-Scheler ont emporté à 91 701 € avec frais, neuf fois l'estimation basse, le Livre de prières de Bruges, 1500-1525, avec une superbe miniature du Christ de pitié au sourcil musclé et anxieux «comme sous la main de Simon Bening». Un grand livre d'heures se chiffre en millions d'euros, souligne le marché qui garde la tête froide et l'oeil très critique du connaisseur. Rose et rond comme un Rembrandt, le Néerlandais Sebastiaan S. Hesselink (Antiquariaat Forum d'Utrecht) s'est battu en silence pour emporter à 397 709 € l'atlas d'Abraham Ortelius avec sa préface à Charles Quint, ses 70 cartes coloriées et enluminées et sa magnifique reliure à panneau rectangulaire en beau maroquin d'époque (Anvers 1573). Libraire à l'intuition incontestée, Pierre Berès l'avait acheté 4 400 £ à la vente du Major Abbey chez Sotheby's à Londres en 1967. C'était alors la troisième plus haute enchère d'une vente qui fit date, après les 6 500 £ payées par le libraire anglais Bernard Quarritch pour une reliure romane et les 5 000 £ pour les cinq volumes de saint Jean Chrysostome reliés par Groslier en 1532, souligne l'expert de la vente Jean-Baptiste de Proyart. Chiffrer le bonheur de l'investissement demande un calcul en livres sterling constantes. Estimé cette fois au mieux 150 000 €, l'atlas vaut ses 500 000 €, analyse Jean-Claude Vrain, fougueux libraire de la rue Saint-Sulpice qui n'oublie pas la fantastique vente d'atlas à Londres au début de l'automne, démonstration de l'écrasante puissance financière du marché anglo-saxon. Cette 3e vente mêlait les époques et les amateurs, de Rodolfo Molo de Milan, fameux pour sa collection de livres illustrés et de reliures modernes et son goût immodéré de la boxe, au jeune collectionneur d'antan, cheva lière et costume sombre très Banque Rothschild. Les Clavreuil ont emporté le coup de coeur de cet homme pressé, les Chroniques d'Enguerrand de Monstrelet «bâtard de bonne maison», frais exemplaire de 1572 dans une superbe reliure à la fanfare (99 302 € avec frais, cinq fois l'estimation). Il y a encore des amateurs pour comprendre l'intérêt d'un envoi de Musset à George Sand sur La Confession d'un enfant du siècle (72 000 € au marteau), pour jauger celui de Stendhal sur De l'Amour (32 000 € marteau) et continuer d'aimer Emma quand l'exemplaire de Madame Bovary a appartenu à Lamartine (65 000 € au téléphone). Ou savourer une délicate reliure Art déco de Rose Adler sur un plus petit texte (Jean-Claude Vrain l'a défendue jusqu'à 28 500 €). Toutes les lettres de noblesse de la culture française. Le Figaro - Valérie Duponchelle - 19 décembre 2005 Bibliophilie. La suite de la dispersion des fonds anciens de la librairie de Pierre Berès. A Drouot, la religion du livre. Drouot-Richelieu, vendredi, 14 h 30. La salle n° 7 est pleine comme un oeuf : deux cents livres exceptionnels vont être dispersés. L'immense bibliothèque de Pierre Berès, «le plus grand libraire du monde», est en train de se disloquer pan par pan. En juillet dernier, les opérations ont débuté avec la mise aux enchères des «outils de travail» : catalogues, volumes sur l'histoire du livre, de l'imprimerie, de la typographie, etc. Soit 1 400 lots écoulés pour 765 000 euros, alors que l'ensemble n'était estimé qu'à 400 000 euros. En octobre, le spectacle a vraiment commencé avec la vente d'ouvrages allant d'incunables à de précieuses éditions originales contemporaines. Aujourd'hui, c'est la suite de cette vente qui réunit près de trois cents personnes rue Drouot. Un seul des deux cents ouvrages proposés ne trouvera pas preneur. Mais pour l'instant, il y a derrière la table quatorze personnes prêtes à gérer la vente. C'est Frédéric Chambre, de Pierre Bergé & Associés, qui tient le marteau. Tout de suite arrivent de belles choses, comme ces Elementa d'Euclide imprimés en 1482: «La typographie au service des mathématiques», claironne le catalogue. Le livre part pour 52 000 euros. Une impressionnante collection d'ouvrages scientifiques se met à défiler, jusqu'à l'apparition de la vedette du jour : le Theatrum Orbis Terrarum du géographe Abraham Ortelius, imprimé à Anvers en 1573 et considéré comme le tout premier atlas. Le compteur s'affole, s'arrêtant quelques dizaines de secondes plus tard sur la somme de 340 000 euros. Précocité. Pierre Berès, né à Stockholm en 1913, fut un collectionneur fort précoce. A 13 ans, il commence à réunir des autographes. A 16, il se lance dans le commerce de livres. A 24, il monte sa propre librairie. L'homme sait repérer les bons coups. Après la crise de 1929, il rachète à prix intéressant les bibliothèques de milliardaires américains ruinés. Berès accumule ainsi des trésors de toutes les époques, et finira même par mettre la main sur le manuscrit du Voyage au bout de la nuit, de Céline. La BNF s'en est portée acquéreur en 2001 pour la somme fabuleuse de 2 millions d'euros ! On n'avait pas vu le manuscrit depuis que l'écrivain l'avait lui-même cédé, en 1943, à un marchand de tableaux contre 10 000 francs et un petit tableau de Renoir. Flaubert dédicacé. Dans la salle n° 7, les volumes et les siècles défilent. 15 500 euros pour une édition originale du livre III des Essais de Montaigne (1588), 45 000 euros pour les Contes et nouvelles en vers de La Fontaine dans l'édition de 1665, 15 000 euros pour une édition courante du Candide de Voltaire (1759), 56 000 euros pour une curiosité : Lettres d'un cultivateur américain, de St John de Crèvecoeur (manuscrit de 1786), «texte fondateur du rêve américain en France», énonce le catalogue. La tension monte d'un cran lorsque arrive le XIXe. Une édition originale de la Confession d'un enfant du siècle (1836), avec un envoi de Musset à George Sand, se met à grimper à sept fois son estimation. On ne sait quel enthousiaste finit par l'emporter à 72 000 euros. Il est vrai que c'est le seul ouvrage jamais dédicacé par Alfred à sa très chère George. Même effervescence pour un Madame Bovary avec un envoi de Flaubert à Lamartine, qui atteint 65 000 euros. Bizarrement, juste après, un Salammbô dédicacé à Barbey d'Aurevilly (et annoté de la main du destinataire) partira à un maigre 2 800 euros. Plus tard, toujours au rayon Flaubert, des tirages de tête de Trois Contes et d'Un coeur simple monteront respectivement à 24 500 et 16 200 euros, dans de belles reliures il est vrai. On ne sait quel prix aurait atteint un autre exemplaire de Madame Bovary, celui-là dédicacé «A M. Alexandre Dumas/hommage d'un inconnu», si Pierre Berès avait décidé de s'en séparer. Mais l'ancien libraire, aujourd'hui âgé de 92 ans, a décidé de garder pour lui des éditions originales exceptionnelles de Proust, Colette, Rimbaud et Flaubert, entre autres. D'ailleurs, côté Proust, pas grand-chose, sinon une douzaine de fragments autographes de A l'ombre des jeunes filles en fleurs réunis dans un vilain cadre, enlevés finalement pour 18 000 euros. Le principal intérêt de ces bouts de manuscrits réside dans les passages qui n'ont pas été retenus pour la version définitive. Ils n'étaient à vrai dire pas essentiels, tel ce : «Contempler la surface d'un visage couleur de géranium, c'est ne fournir par la réalité qu'une des dimensions d'un être ; il nous faut avec l'imagination construire les autres, prolonger les côtés.» A 18 heures, le dernier coup de marteau tombe sur un Cirque de Fernand Léger (65 lithographies plus une aquarelle originale de l'artiste) à 71 000 euros. Recette du jour : plus de 3 millions d'euros. Suite de la vente dans les prochains mois, à des dates qui restent à fixer. Des milliers de volumes sont encore à disperser. Libération.fr - lundi 19 décembre 2005 - Edouard LAUNET Vente Pierre Berès le 13 décembre 2006, à Drouot : Lire Calvin dans le texte ou tout le prix de la Réforme. Clou de cette cinquième vente Berès qui atteint déjà près de 30 M. eur : le livre fondamental de Calvin, publié à Bâle en 1536. LA VEDETTE de la cinquième vente Berès, mercredi après-midi à Drouot, est austère comme un penseur picard, humaniste au long nez et à la barbiche effilée, érudit vêtu de sombre au cou étroitement ceint de sa collerette de fourrure. Pour ce cinquième chapitre de la vente de la bibliothèque Pierre Berès (1), honneur est rendu à son livre phare, Institution de la religion chrétienne, dans lequel le réformateur expose sa doctrine et ses principes théologiques qui devaient changer le monde de la chrétienté. Dans cette somme publiée à Bâle en latin (1536), avant d'être traduite en français (1541), Calvin impose la reconnaissance de la Bible comme source unique de la foi, la doctrine de la prédestination et de la grâce proche des thèses de saint Augustin, le retour à la simplicité primitive du culte où seuls sont admis comme sacrements le baptême et la communion dans une valeur symbolique de commémoration. Plus qu'un livre, une pierre angulaire ou une bombe à retardement. L'édition princeps de cet ouvrage fondamental de la Réforme était la vedette annoncée de cette cinquième vente Berès (3,05 Meur de produit total au marteau), jugée moins riche par les bibliophiles que les précédents chapitres. Comme de juste ? Dans la salle 7 de Drouot, bondée comme pour les précédentes ventes Berès, cette confession de foi vibrante, plus politique et plus polémique du fait de l'affaire des Placards (1534), est partie vers des sommets. Au plus grand scepticisme des habitués du sage marché des livres. Estimé 150 000 à 250 000 eur, cet exemplaire rarissime, le seul proposé aux enchères depuis 1977, a été emporté au téléphone à 545 538 eur avec frais, bien qu'il ne soit pas en reliure d'époque. Olympe genevois des livres Un duel anglo-saxon, semble-t-il. Le marchand londonien Bernard Quarritch l'aurait emporté contre un courtier anglais. Le marché suppose qu'il enchérissait pour le grand collectionneur Henri Schiller, industriel allemand installé en France, bibliophile de l'ancien, connu pour arrêter ses coups de coeur avant 1700. Le marché avait pressenti cette même alliance lors du record du Copernic, De Revolutionibus Orbium coelestium, Libri VI (Nuremberg, 1543), relation de l'univers en parfaite condition avec son beau vélin d'époque et ses marges immenses, adjugé 818 454 eur lors de la deuxième vente Berès en octobre 2005. Les protestants de France ne semblent pas avoir été de la bataille. Feu Martin Bodmer, le grand collectionneur suisse dont la fondation, sur les hauteurs de Coligny avec vue sur Genève, est l'Olympe des livres, le chercha toute sa vie et organisa une fête pour célébrer sa trouvaille, la fin de sa quête et ce jour bénit pour les Réformés (2). Paradoxalement, mercredi, le peintre, graveur, décorateur et paysagiste français Hubert Robert est resté plus modeste malgré ses fameux Carnets, rarissime ensemble à avoir échappé au démantèlement habituel qui a nourri tant de collections (30 dessins originaux et 30 pages de manuscrits autographes, Paris, 1797-1806). De l'avis unanime, la qualité desdits dessins n'emballait pas follement les amateurs, ce qui a laissé le champ libre aux bibliophiles. D'autant que le Louvre n'a pas préempté, comme espéré, ces tableaux croqués par le grand peintre des ruines. Cette autre vedette de la vente a toutefois doublé son estimation (181 395 eur). Loin de ces prix qui témoignent de l'euphorie du marché, (215 765 eur le Xénophon dans sa reliure à la fanfare), les amoureux de littérature ont réussi à piocher quelques perles. Comme le « placard » de Proust sur la Sonate de Vinteuil (61 960 eur). Paris est toujours À l'ombre des jeunes filles en fleur. (1) Déjà près de 30 Meur de produit en attendant l es deux ventes en 2007, Pierre Bergé & Associés. (2) www.fondationbodmer.org
Décès de PIERRE BERES, libraire de légende et collectionneur de manuscrits rares. Pierre Berès, libraire de légende, collectionneur de livres et de manuscrits rares pendant trois quarts de siècle, ami de Picasso et d'Aragon, est mort lundi à l'âge de 95 ans, a annoncé sa famille. Pierre Berès, qui avait pris sa "retraite" à l'âge de 92 ans pour partir vivre dans sa maison de St-Tropez, sera inhumé jeudi au cimetière de Passy à Paris. Il y a trois ans, cette légende du monde de la librairie avait décidé, à l'âge de 92 ans, de se séparer d'une grande partie - 12.000 volumes - de son impressionnante bibliothèque de livres anciens. De l'oeil, du culot, du charisme, de l'érudition: c'est grâce à ces qualités que Pierre Berès, dont la librairie était située avenue de Friedland, près de l'Arc de Triomphe, est devenu, selon le magazine Lire, "le plus grand libraire du monde, titre officieux et subjectif qu'amis et ennemis s'accordent néanmoins à lui décerner unanimement". Riche et secret, petit et vif, élégant et individualiste, proche, philosophiquement parlant, des Encyclopédistes du XVIIIe siècle, Pierre Berès est né en 1913 à Stockholm. De son père, Grégoire Berestov, il ne parlait jamais. Sa précocité est étonnante : à 13 ans, il collectionne les autographes, à 16 se lance dans le commerce du livre, à 17 dirige sa première vente comme expert et à 24, monte sa première librairie. Dans les années 30, à la suite de la Grande Dépression, il a l'idée de s'intéresser aux bibliothèques américaines vendues par des milliardaires ruinés. "Pibi", comme on le surnomme, commence à acheter des documents incroyables, comme des éditions originales de Cervantès, qu'il stocke longtemps (parfois des décennies) avant de les ressortir et de les vendre une fortune. Pour expliquer comment il obtient des livres rares auprès d'héritiers, certains disent qu'il est une véritable "machine à séduire". Il possède notamment, parmi ses livres personnels des originaux de Villon, Proust, Colette, Rimbaud ou Flaubert, comme cette édition originale de "Madame Bovary", avec mention de l'auteur: "à M. Alexandre Dumas/hommage d'un inconnu". Parmi ses trésors achetés et revendus, figurent la collection Pillone (168 livres imprimés du XVe et XVIe siècle venant de Venise, aux tranches ornées par un proche du Titien), des volumes de Stendhal avec corrections de l'auteur, un jeu d'épreuves du "Coup de dé" de Mallarmé, avec indications manuscrites du poète. Son coup de maître demeure la vente, à la Bibliothèque nationale de France, en 2001, du manuscrit de Louis-Ferdinand Céline "Voyage au bout de la nuit", au prix record de deux millions d'euros. Le manuscrit avait été vendu par l'écrivain en 1943 à un marchand de tableaux contre 10.000 francs et un "petit" Renoir. En 2006, il avait fait don à l'Etat du manuscrit autographe et de l'exemplaire annoté de la main de Stendhal de "La Chartreuse de Parme", qui devaient au départ être vendus. Ami de Picasso et de Matisse, d'Eluard et d'Aragon, Pierre Berès a aussi été un collectionneur d'art, possédant notamment des oeuvres de Masson ou de Giacometti. Marié à trois reprises, il était père de huit enfants (dont Pervenche, eurodéputé, et Anémone, ancien directrice de Larousse). Pierre Berès est mort à l'âge de 95 ans. Longtemps Pierre Berès, qui vient de disparaître, fut l'un des libraires parmi les plus renommés du monde occidental. Ce professionnel a bouleversé les règles de la bibliophilie - qu'il définissait comme une cosa mentale -, réussissant même à la faire sortir du cercle étroit des amateurs, en intervenant régulièrement dans les médias. Sa boutique de l'avenue de Friedland, à Paris, ouverte à la veille de la seconde guerre mondiale, était une discrète caverne d'Ali Baba. Et quand son fonds fut mis en vente entre 2005 et 2007, sept vacations n'ont pas suffi à disperser complètement ses inépuisables réserves. "C'est au cours d'une ces ventes publiques, à l'Hôtel Drouot, qu'un livre français a battu tous les records. Le recueil de dessins aquarellés d'oiseaux, attribué à Pierre Gourdelle (1550), avec ses planches illustrées est parti à 1,4 million d'euros", note Jean-Baptiste de Proyart, qui fut l'expert de ces ventes. Voir les catalogues des ventes avec leur résultats Ce ne fut pas la seule surprise. On vit apparaître, au fil des vacations de l'Hôtel Drouot, les épreuves originales du Coup de dés, de Stéphane Mallarmé, avec les nombreuses corrections manuscrites du poète et dans la typographie spéciale voulue par lui. Mais aussi les six cahiers du Journal de Stendhal qui couvrent plusieurs années, entre 1801 et 1814, et une seconde version (inachevée) de La Chartreuse de Parme, finalement abandonnée par l'auteur ; ou douze poèmes de Rimbaud, de la main du poète, ainsi que l'exemplaire d'Une Saison en enfer, avec un envoi à Paul Verlaine et une série de dessins prémonitoires du jeune Rimbaud âgé de 10 ou 11 ans. "Le plus bel ensemble rimbaldien jamais réuni", note Jean-Baptiste de Proyart. Ces ventes furent le dernier triomphe d'une carrière exceptionnellement longue. Pierre Berès, né en 1913 à Stockholm, au hasard d'un déplacement de ses parents, a pratiqué le commerce du livre dès l'âge de 16 ans, en chambre, alors qu'il habitait encore chez sa mère. Deux ans plus tard, il éditait son premier catalogue. L'un de ses premiers clients fut Louis Barthou, ministre quasi inamovible de la IIIe République, et bibliophile réputé. "C'était un mauvais bibliophile selon nos critères d'aujourd'hui, se souvenait Pierre Berès. Il aimait les livres farcis de documents divers, lavés et reliés de neuf. Actuellement les amateurs recherchent essentiellement des ouvrages dans leur état d'origine, même s'ils sont fatigués." Pierre Berès a été l'un de ceux qui ont imposé les règles d'or de la bibliophile moderne. Il traverse la crise des années 1930, grâce à l'appui de deux clients qui lui resteront fidèles : Anténor Patino, le roi de l'étain, et un homme d'affaires grec installé en France, André Rodocanachi. Vient la guerre, la librairie Berès reste ouverte. Ernst Jünger, alors capitaine dans l'armée allemande, note à plusieurs reprises dans son Journal y avoir fait quelques achats. Le libraire a-t-il profité des occasions offertes par cette période trouble ? Cette accusation, que Pierre Berès a toujours démentie avec fureur, a été plusieurs fois proférée. "Les spoliations de cette époque sont aujourd'hui totalement judiciarisées, notamment celle des biens juifs pour lesquels il existe des répertoires. Le nom de Pierre Berès n'apparaît à aucun moment", constate Jean-Baptiste de Proyart. C'est d'ailleurs Jacques Chaban-Delmas, jeune maire de Bordeaux, et Jules Cain, administrateur de la Bibliothèque nationale (radié par Vichy), qui l'envoient, en 1947, à New York à la vente Lucius Wilmerding pour ramener en France le Livre de raison annoté par Montaigne, avec un viatique de 1 500 dollars. Le précieux exemplaire, aujourd'hui à la Bibliothèque de Bordeaux, fut adjugé 21 000 dollars. Pierre Berès dut emprunter la différence. Autre coup fameux, pour son compte, cette fois-ci, l'achat à Londres en 1957 de la collection Pillone, 168 livres imprimés entre 1509 et 1590 et réunis par un patricien vénitien qui avait fait orner la tranche des volumes par Cesare Vecellio, un peintre de l'entourage du Titien. Un peu plus tard, il enlèvera en bloc la célèbre bibliothèque des ducs de Mouchy. Mais Pierre Berès avait une autre activité moins connue : celle d'éditeur. En 1956, il rachète une maison d'édition scientifique - les éditions Hermann - qui avait à son catalogue des essais prestigieux : ceux des physiciens Henri Poincaré et Louis de Broglie, la thèse du jeune Jacques Monod sur les bactéries, ou un ouvrage de Sartre, Esquisse d'une théorie des émotions. La vieille maison végétait depuis un bon moment. Pierre Berès va la ranimer. Il n'abandonne pas le volet scientifique auquel, de son propre aveu, il ne connaissait pas grand-chose - "Alors, j'écoute, je me renseigne, et j'ai aussi un peu de flair." Il édite aussi bien un essai de physique statistique de Cohen Tanugi, Philosophie mathématique, de Jean Cavaillès, Principes de sémantique linguistique, d'Oswald Ducrot, que des ouvrages destinés à un public plus large comme L'Honneur de vivre, du professeur Robert Debré, son best-seller (130 000 exemplaires). Le libraire ajoute à sa maison d'édition un département artistique. C'est ainsi qu'Hermann, la "maison des arts et des sciences", publiera des écrits sur l'art, mêlant les anciens (Poussin, Delacroix, Signac, Zola) et les modernes (Masson, Giacometti). Il édite les oeuvres complètes de Diderot (33 volumes), Jean-Pierre Faye (Le Langage meurtrier), Simon Leys (La Forêt en feu), Jacqueline de Romilly (Problèmes de la démocratie grecque), Dan Sperber (Le Savoir des anthropologues) ou Alexandre Koyré (Etudes galiléennes). Il édite 80 titres par an, emploie 20 personnes, travaille sans comité éditorial et a la réputation d'être un despote éclairé. Au soir de sa vie, il confiait au Monde : "J'ai passé ma vie à lire des livres, à les regarder, à les décrire. Puis je les ai négociés. Et aujourd'hui je les fabrique." Le Monde 2 août 2008. Décès du "plus grand libraire du monde" Pierre Berès, libraire de légende, collectionneur de livres et de manuscrits rares pendant trois quarts de siècle, ami de Picasso et d'Aragon, est mort en début de semaine à l'âge de 95 ans et devait être inhumé jeudi à Paris. Pierre Berès, qui avait pris sa "retraite" à l'âge de 92 ans pour partir vivre dans sa maison de St-Tropez, dans le sud de la France, sera inhumé jeudi au cimetière de Passy à Paris. Il y a trois ans, cette légende du monde de la librairie avait décidé de se séparer d'une grande partie - 12'000 volumes - de son impressionnante bibliothèque de livres anciens. Le magazine spécialisé Lire l'avait surnommé "le plus grand libraire du monde". Des ventes fructueuses Parmi ses trésors achetés et revendus, figurent la collection Pillone, soit 168 livres imprimés du XVe et XVIe siècle venant de Venise, aux tranches ornées par un proche du Titien, des volumes de Stendhal avec corrections de l'auteur, un jeu d'épreuves du "Coup de dé" de Mallarmé, avec indications manuscrites du poète. Son coup de maître demeure la vente, à la Bibliothèque nationale de France, en 2001, du manuscrit de Louis-Ferdinand Céline "Voyage au bout de la nuit", au prix record de deux millions d'euros. Ami de Picasso et de Matisse En 2006, il avait fait don à l'Etat du manuscrit autographe et de l'exemplaire annoté de la main de Stendhal de "La Chartreuse de Parme", qui devaient au départ être vendus. Ami de Picasso et de Matisse, d'Eluard et d'Aragon, Pierre Berès a aussi été un collectionneur d'art, possédant notamment des oeuvres de Masson ou de Giacometti. Marié à trois reprises, il était père de huit enfants. Le 31 juillet 2008. http://www.tsr.ch/tsr/index.html
|